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35 rhums
de Claire Denis
critique
rédigé par Olivier Barlet
publié le 14/01/2009
Alex Descas
Alex Descas
Julieth Mars-Toussaint et Alex Descas
Julieth Mars-Toussaint et Alex Descas
Grégoire Colin et Nicole Dogué
Grégoire Colin et Nicole Dogué
Mati Diop et Alex Descas
Mati Diop et Alex Descas
Grégoire Colin et Mati Diop
Grégoire Colin et Mati Diop
Alex Descas et Claire Denis
Alex Descas et Claire Denis

Ce qui frappe toujours dans le cinéma de Claire Denis, c'est à quel point ses histoires particulières et énigmatiques sont travaillées par la conscience du monde. Pourtant, 35 rhums concerne un père et sa fille maintenant étudiante vivant seuls un peu comme un couple depuis la mort de la mère. Leur relation leur suffit et tous ceux qui essayent de profiter de ce bien-être sont mis à distance.
Mais le monde, il est dans chaque image, à commencer par ces rails de chemin de fer, ces RER qui circulent dans la nuit, ces travailleurs qui regagnent leur banlieue. Il est dans la difficulté d'évoluer, de sortir de la sécurité d'une fusion, d'accepter l'incertain, l'altérité, pour arriver à cette transition où l'on accepte de boire les 35 rhums des flibustiers, des aventuriers.
35 rhums a sans doute été écrit et tourné avant que la crise actuelle ne se déclenche mais il en a la prescience. Il baigne dans les limbes, comme en suspension dans l'entre-deux, arrimé à la souffrance passée qui peut aller jusqu'au suicide mais pénétré du désir de respirer, de pouvoir aimer. Lorsqu'à la faveur d'une panne de voiture, tous se retrouvent en galère dans la nuit et se réfugient dans un bar perdu où ils finissent par danser, le père fera comprendre à sa fille qu'elle doit prendre sa liberté autant qu'il le fait lui-même. Si l'enjeu est de sortir de l'ancien, le nouveau n'est pas annoncé. Mais la porte s'ouvre, avec une extrême délicatesse. Il y a dans 35 rhums quelque chose de la grâce de Printemps tardif de Yasujiro Ozu où un père élaborait un stratagème pour donner sa liberté à sa fille qui se suffisait de leur duo.
Le père de 35 rhums, auquel Alex Descas, l'acteur fétiche de Claire Denis, confère toute sa puissance tranquille, est plutôt bel homme. La réalisatrice sait filmer les corps sans les réifier. Elle se plaît à le mettre en exergue, et renforce ainsi la cohésion de sa liaison filiale avec la belle Joséphine que Mati Diop, cinéaste en herbe dont c'est aussi le premier rôle,* interprète avec retenue mais intensité. Leur isolement du monde est aussi celui d'étrangers conscients des différences imposées. Non que le film fasse un sujet de leur couleur de peau, hormis un cour en fac où Joséphine et d'autres étudiants discutent de la puissance des faibles, étonnante incursion discursive dans un film où le silence est d'or. Mais sans non plus l'ignorer car même si cela devrait paraître naturel dans une société multiculturelle, faire jouer des Noirs dans un film reste aujourd'hui une prise de position dans le débat sur l'altérité, thème récurrent chez Claire Denis dont par exemple le précédent film, L'Intrus, développait la problématique de la greffe de l'étranger.
Elle le fait ici encore avec une grande pudeur, en un film troublant et sombre mais dont la poésie, à la manière des lampions brandis par des enfants, vient colorer la nuit du monde.

Olivier Barlet

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