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Abdelinho, d'Hicham Ayouch
La force d'oser
critique
rédigé par Olivier Barlet
publié le 14/08/2023

En sortie dans les salles françaises le 16 août 2023, le nouveau film d'Hicham Ayouch joue la carte du burlesque pour aborder les freins du rigorisme moral et religieux face aux rêves et à l'amour.
Le premier long métrage de fiction d'Hicham Ayouch, Tizaoul (Les Arêtes du cœur, 2006), était coécrit avec cet autre déjanté du cinéma marocain qu'est Hicham Lasri. En 2009, il produit Fissures, un triangle amoureux à Tanger tourné tout en improvisation et caméra épaule. Fièvres, sur les difficiles relations entre un père et de son fils dans une cité française obtient en 2015 l'Etalon d'or du Fespaco. Il confirme la narration épidermique d'Hicham Ayouch, qui creuse des thématiques actuelles mais cherche parfois sa profondeur.

C'est également le cas ici mais sur le mode burlesque. Ayouch joue sur les couleurs vives, les contrastes et les néons pour situer son personnage Abdelinho (Aderrahim Tamimi) entre ses deux patries. Il vit dans une petite ville du Maroc mais est amoureux du Brésil en la personne de Maria (Inês Monteiro), la belle et téméraire héroïne d'une telenovela avec qui il entretient une relation fantasmée des plus étroites. Maîtrisant le portugais et donnant des cours de samba tout en racontant les derniers épisodes du feuilleton, il place la vitalité et la sensualité brésiliennes comme alternative aux limites de la mentalité conservatrice de province.

Avec la venue dans la ville marocaine d'un évangéliste musulman aussi rigoriste qu'intéressé et au Brésil face à la députée Maria qui défend le peuple face à un promoteur immobilier corrompu, un parallèle va vite s'inscrire entre les manipulations pécuniaires des deux terrains. La telenovela cesse dès lors d'être l'abêtissement télévisuel habituel pour prendre le statut d'un film politique, l'enjeu pour les deux héros étant d'être fidèles à leurs convictions malgré les menaces reçues.

Tout cela est parfaitement caricatural voire surréaliste mais derrière l'hyperbole pointe une critique basique des projections imaginaires dans le champ social et un appel aux transgressions auxquelles le spectateur ne peut qu'acquiescer. Le happy end est dès lors obligatoire et le seul suspens sera de savoir comment un film aussi rocambolesque peut arriver à se terminer.

On ne peut donc qu'adhérer, à condition d'être ouvert à ce type d'humour décalé et hypertrophique. Le regard est acerbe, à l'image de ce café des hittites prostrés et indifférents à ce qui arrive autour devant eux. Ayouch multiplie les pastiches, du collègue de bureau dragueur (Saïd Bey) au charlatan prédicateur Amr Taleb (Ali Suliman). Ce n'est pas la religion qui est visée (l'imam local refuse la corruption) mais les dérives ubuesques de la prétention, du spectacle et de la cupidité. Le romantisme du couple impossible le dispute à la politique, comme dans une telenovela, avec pour objectif face au poids des interdits moraux et religieux d'appeler à la joie et à la danse, comme pouvait le faire Flora Gomes avec Nha Fala, une comédie musicale elle aussi bien décalée qui se demandait où puiser la force d'oser.

Abdelinho s'est fantasmé son idylle sans céder aux diktats de sa mère. Il a osé, comme on pourrait oser aller voir ce film.

Olivier Barlet

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