Dans le cadre du 33ème Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF 2018), Karim Sayad vient présenter son deuxième documentaire intitulé Des Hommes et des moutons. Le jeune cinéaste algérien semble avoir toutes les chances pour une consécration bien méritée. À l'instar de son film précédent, Babor Casanova, Karim Sayed semble avoir fait un choix clair en matière de sujet. Il traite des jeunes des quartiers populaires d'Alger. Il y a là comme une volonté affichée de réhabiliter ces zones marginales, voire marginalisées, en leur donnant une visibilité qui semble leur être confisquée. C'est aussi une manière de donner la parole à une jeunesse qui navigue à vue d'oeil, sans perspective sinon un combat au quotidien pour prendre goût à la vie.
Le combat, il en est question effectivement dans Des Hommes et des moutons, celui des moutons, offrande que l'on prépare pour la fête musulmane du sacrifice. Ce sont des moutons que l'on achète quelques mois avant la fête et que l'on nourrit, entraîne, aime peut-être, et que l'on fait participer à des combats de quartiers, voire même entre villes. Pendant la moitié d'une année, beaucoup de jeunes vivent au rythme du commerce des moutons, de leurs soins, de leur entraînement et de leurs combats jusqu'à l'apothéose de leur sacrifice. Comme si la valeur de l'offrande gagne en importance en fonction de l'affection qu'on lui porte et du mérite dont elle fait preuve.
Traiter des moutons est bien sûr une manière de traiter des hommes par ricochet. Le sujet principal, ce sont tous ces jeunes qui investissent tant d'énergie dans ce rituel cyclique dont ils ne sortiront probablement jamais. D'où le choix judicieux des deux protagonistes: Habib, 16 ans, avec El Bouq, son mouton et Samir, la quarantaine passée et encore dans le commerce des moutons d'offrande. Derrière eux, beaucoup d'autres jeunes et moins jeunes logés à la même enseigne. En arrière plan, une société dans une impasse comme l'on entend de temps à autre à la radio : on martèle un message politique sur la volonté de relance économique en laquelle personne ne semble croire. Désillusionnée, la jeunesse des quartiers populaires investit toute son énergie dans une activité, qui lui donne peut-être de l'émotion, mais en tout cas, elle l'occupe de penser au long terme: Habib ne deviendra jamais vétérinaire et Samir ne semble pas trop convaincu que son fils fera autre chose que lui.
Cette activité dont la légalité est plus que douteuse, semble être tolérée par les autorités. Elles y trouvent une distraction dans tout ce que cela pourrait signifier. A travers cette habitude, Karim Sayad met le doigt sur un aspect du mal qui ronge la société algérienne : une économie non structurée, une politique en mal d'inspiration et incapable de proposer une perspective d'avenir pour la jeunesse. Celle-ci ne peut que s'enliser dans de fausses illusions et dans la préoccupation quotidienne de tuer le temps, manière de se tuer soi-même à petit feu, à défaut de tout espoir de préparer le futur.
par Hassouna Mansouri