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Enfance et errance : le cancer africain
Marrakech Inshallah, de Steffen et Christian Pierce (USA, Maroc)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 16/02/2008

Marrakech Inshallah n'est pas un film africain, s'il fallait s'en tenir au passeport américain de Steffen et Christian Pierce, ses deux auteurs. Cependant, tout le contenu de ce documentaire long de 90 minutes est nord-africain. De ce fait, il devient pertinent de procéder à sa critique évaluative ; ce d'autant plus que le Maghreb n'est pas un territoire artistique exclusif à ses ressortissants.

Voir Marrakech et mourir. Ces quatre mots (ou maux) auraient pu servir de titre alternatif à l'œuvre Marrakech Inshallah. Malheureusement, cette seconde version noircirait davantage le tableau qui étale les douleurs de la jeunesse au Maroc, me confiait Steffen Pierce le 30 janvier 2008 à Rotterdam. Son souci est de s'en tenir aux faits tout en laissant libre cours aux commentaires. Et la meilleure formule d'exposition du factuel est le documentaire : cinéma du réel. En réalité, toute vérité n'a qu'une version unique. Marrakech Inshallah en est, à juste titre, la bonne. En effet, la "ville rouge" est un mouroir pour l'enfant Aziz. Il est abandonné à lui-même dans une sorte de panier à crabes. Les hommes se mordent les uns les autres. Malgré la présence des mosquées, le péché y fait son lit.

Le relief comme personnage opposant

L'environnement marocain occupe la case d'opposant à l'amorce de l'œuvre. Le réalisateur s'attarde sur les aspects cruels de l'Atlas. Une succession de sommets dégarnis. Pas la moindre touffe d'herbes pour abriter la vie. Et quand intervient le malheur du froid méditerranéen, la malchance s'en mêle. Aziz est la victime répétée des sévices contre l'enfance. Poussé à ses derniers retranchements, le héros finit par jurer : "Marrakech Inshallah!". C'est le temps de la ferme prise de décision de quitter la brutalité naturelle et humaine. D'où le départ sans au revoir pour la cité de tous les espoirs ; mais aussi tous les abus contre l'innocence.

Marrakech : métaphore représentative du Maroc

Il n'y a pas de hasard dans la sélection de Marrakech dans le vaste ensemble des villes que compte le Royaume chérifien. Les frères Pierce auraient bien pu choisir Tanger et Agadir au nom de leur portée historique dans le conflit colonial. Même Rabat et Casa(blanca) auraient pu proposer un produit de qualité sur les maltraitances contre l'enfant africain.

Le mobile du choix porté sur Marrakech est à creuser dans le réseau des sens seconds du film. L'intention des Pierce est de réaliser une grande enquête sur des méfaits irradiants. En effet, la crise de l'enfance est un mal endémique qui s'étale dans l'ensemble du pays. Il fallait, par conséquent, trouver un mot image à même de traduire la réalité marocaine dans les faits. D'où le nom Marrakech. Il va comme un gant à la volonté de décrire le fardeau des tout petits de manière globale au Maroc. La preuve en est que Marrakech est la seule ville qui donne sa dénomination au reste du pays. Maroc proviendrait de la prononciation espagnole de Marrakech par "Marruecos". Des États comme l'Iran continuent ainsi de désigner le Maroc par l'appellation Marrakech. En somme, la situation dans la ville en question est symptomatique de l'état des lieux dans le reste du Royaume.
Par extrapolation, c'est un drame africain. Du Caire au Cap, de Dakar à Djibouti, Aziz n'est en rien différent des enfants de la rue rencontrés. Marrakech Inshallah est donc un appel à la prise de conscience des problèmes de l'enfance malheureuse.

Film interdit de diffusion aux États-Unis

La voix chevrotante, Steffen Pierce me renseigne que son "bébé" est persona non grata dans toute l'étendue du territoire américain. La commission de censure le trouve inapproprié pour son public cible, en l'occurrence les enfants. J'étouffe ma révolte contre cet espace qui est pourtant dit terre des libertés. Cependant, mon drame intérieur est de courte de durée. À l'issue de la projection en salle, je lui dis : "Pierce, tu as violemment mis le doigt dans l'abcès ; ça va mal. Je comprends la position américaine". Toute âme sensible fondrait en larmes en vivant la déroute d'Aziz ; du moins pour ceux qui écoutent le récit avec le cœur ne sauraient rire de voir le fiston dans les combats de rue ou encore de le surprendre dans la drogue. À qui le tour après Aziz ? Mon fils ; votre neveu peut-être !

Télesphore MBA BIZO

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