Pour son (premier) long métrage Waka, la réalisatrice camerounaise Françoise Ellong est au pays des Lions Indomptables. Le staff commis est de plain-pied dans la production. Ville côtière camerounaise, Douala a été choisie pour abriter entièrement le tournage de cette fiction qui met en scène le drame d'une mère prête à tout pour son fils.
C'est en mi-journée du lundi 19 novembre que nous rencontrons la jeune femme et son équipe ayant établi son QG à Deido, l'un des quartiers chauds de la ville. Le domicile familial de la réalisatrice accueille l'équipe pendant le tournage qui dure un mois (19 novembre-23 décembre). Ce premier jour a la particularité d'être moins chaud à Douala. Généralement brûlante en cette période de l'année, la capitale économique camerounaise offre plutôt un climat clément. Il est 13h lorsque nous accédons au QG. "Toute l'équipe est là" déclare Cyrille Masso, co-producteur et directeur de la production côté Cameroun.
Dade, 2007
À l'image de l'atmosphère du jour, l'ambiance est sereine. Aucune inquiétude sur les différents visages, à trois heures du premier clap. Mais on s'attèle. L'équipe technique s'accorde avec le matériel. Dans un coin, des comédiens répètent. Certains savourent une bière, d'autres observent les mouvements des habitants de cette rue qu'ils découvrent…
C'est le cas de Bruno Henry qui incarne Max dans le film. "J'essaye actuellement de penser à autre chose, de ne pas trop me mettre dans le rôle", avoue l'acteur français d'origine afro-antillaise. Celui qui tourne pour la première fois en Afrique - vœu exprimé depuis toujours - dit avoir été captivé par la force et la beauté du scénario. Son personnage est un proxénète qui, au niveau du jeu a beaucoup de couleurs à défendre.
Les premières séquences se déroulent à l'intérieur d'un café loti dans un hôtel de Deido. L'installation du matériel prend un peu plus de temps. "C'est mieux de s'appliquer à bien régler les machines, les lumières et tout le reste ; de prendre le temps qu'il faut et la suite va se dérouler sans grand souci", fait remarquer Ellong.
Parfaitement décontractée en blue jeans et tennis, la réalisatrice n'hésite pas à donner un coup de main soit à la régie, soit à la technique. Elle rassure ses comédiens déjà positionnés pour le premier test. Dernier coaching des figurants, blagues à l'endroit des acteurs, Françoise n'hésite pas de créer une proximité pour remettre tout le monde en confiance. La température monte et des signes de stress se font visibles.
BIG WOMAN DON'T CRY, 2009
Comédienne camerounaise vivant en France, Patricia Bakalack intervient dans les premières scènes. L'idée d'un léger sommeil pour déstresser ne marche pas. Elle se défoule sur un bâton de cigarette. "Ça fait des années que j'ai arrêté de fumer, mais ça me fait du bien là", confesse celle qui incarne Mathilde, l'héroïne du film.
C'est plutôt no stress chez Edimo Dikobo, doyen de l'équipe et 1er assistant-son qui a vu passer dans son moule une bonne fourchette de cinéastes locaux. "J'ai perdu le stress, il y a 45 ans", se targue celui qui incarne aussi le rôle du bailleur.
"Dans 10 minutes, on commence !" lance Françoise Ellong. Lucide et déterminée, la jeune cinéaste de 24 ans dirige une équipe cosmopolite. Elle reconnait néanmoins que son "vrai stress c'est au moment de la première action". Peu de temps après, retenti le premier "Action !". On tourne ! On est à quelques minutes de 19h.
Méticuleuse, Françoise tient à l'œil chaque détail. Attention aux objets qui peuvent faire de la publicité (bouteille de whisky, eau minérale…) ; le maquillage est-il convenablement dosé ? Y a-t-il assez de figurants ?... La première scène met en scène Max, le proxénète et son acolyte se faisant servir par le barman. Quelques figurants complètent le décor de café. Une séquence muette qui appelle à plus d'expressions. "C'était bon au niveau du rythme, mais il faut la refaire", "Thomas, un peu trop lent le travelling", lance-t-elle, derrière son moniteur, en interpellant son chef opérateur image. Il faudra cinq claps pour que la première action soit dans la boîte !
Woman Acts for her Kid Adam
Les séquences se suivent et Françoise veut tirer le meilleur de ses acteurs. De ses techniciens, elle veut les plus belles images, un son impeccable. Engagés à fond, l'équipe refera le plan jusqu'à six, voire huit prises. La troisième séquence de la soirée fait apparaitre Mathilde en tenue légère. Elle incarne une mère violée, contrainte à la prostitution pour élever son fils. À travers ce drame social scénarisé par Séraphin Kakouang, la réalisatrice peint l'image d'une femme combattante, consciente et plein d'amour.
"J'ai choisi de baser l'histoire sur la prostitution, pour créer un choc afin de mieux faire passer le message. Je leur présente une femme qui donne toutes les raisons d'être détestée, mais je nuance. Parce que vu le combat qu'elle mène pour élever son fils et afin de le préserver de cet univers, le regard qu'on a sur elle peut changer", souligne la jeune cinéaste. Le titre Waka a une double connotation dans l'intrigue. Le terme en franglais (argot camerounais mélangeant français et anglais) veut dire "prostituée". La seconde signification pour la réalisatrice, c'est surtout "Woman Act for her Kid Adam" ("une femme agit pour Adam, son fils ", en anglais).
Cette thématique universelle, souligne-t-elle aurait pu être mise en scène en France. Douala étant sa ville natale, les raisons personnelles justifient le choix du site. "Etant partie en Europe très tôt, c'est une ville que je découvre tous les jours", avoue-t-elle. Elle souhaite également que le fait de tourner au Cameroun, avec une équipe et un matériel professionnels soit une motivation pour les cinéastes locaux.
"Il faut savoir que nous tournons avec un micro budget. Pour moi, avec un minimum, on peut faire un bon film. Il faut avoir la passion et la détermination. Nous comptons également avec les partenariats de certaines personnes et structures que nous avons su convaincre", mentionne l'auteure de NEK, 2010.
Ce court métrage de la réalisatrice - qui en a fait neuf en tout - est l'œuvre qui la révèle au Cameroun. Les festivals du pays ont décerné quatre des six prix remportés par le film. C'est dire si la jeune femme est attendue par le public. "C'est très émouvant de faire mon premier long métrage, parce que j'ai beaucoup travaillé pour en arriver là. J'ai la nette impression d'évoluer. La seule crainte que j'avais c'est de ne pas commencer. Est-ce que j'ai peur de faire un mauvais film ? Non ! En même temps, je n'ai pas la certitude d'en faire un bon. Mais, je ne donne jamais raison à ceux qui doutent de moi", tranche-t-elle.
Sur les obstacles qu'elle rencontre pour la production de son film, Françoise ne souhaite pas en parler pour le moment. Le plus important étant que l'équipe reste soudée et concentrée et que le travail avance.
Une équipe franco-camerounaise
Techniquement et artistiquement, la Waka team est franco-camerounaise. Grizouille production (France) et Malo Pictures (Cameroun) assurent la production. Françoise Ellong confie avoir voulu impliquer les artistes locaux depuis l'écriture du scénario. Autour de la réalisatrice gravite une équipe jeune, où se retrouvent techniciens et comédiens confirmés mais aussi des débutants. Assistée de Jean Ndoumbe, elle écoute aussi bien qu'elle observe, dirige et galvanise. Thomas Moren, caméraman français qui a collaboré à NEK, se félicite de la qualité du matériel et s'enchante de travailler avec des gens motivés qui ont envie d'apprendre. Preneur de son, Jean Marc Cedot est sur son premier plateau de long métrage et tourne pour la première fois au Cameroun.
Trailer W.A.K.A, Françoise Ellong from Africiné www.africine.org on Vimeo.
Pélagie Ng'onana