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Le Cheval de vent
de Daoud Aoulad Syad
critique
rédigé par Olivier Barlet
publié le 01/05/2002

Il y a dans Le Cheval de vent beaucoup de murs, de portes, de fenêtres, longuement photographiés tandis que le récit avance, métaphores des fixations et des regards. Car ces deux personnages picaresques dignes de Don Quichotte et de Sancho Pança - le vieux Tahar qui veut revoir la tombe de la femme qu'il a aimé et le jeune Driss à la recherche de sa mère disparue depuis l'enfance – ont en commun les blocages et les ouvertures d'une dérive commune. Il leur faut se déplacer pour tenter d'exister : "Je suis comme ce pèlerin qui ne peux rebrousser chemin parce que les traces s'effacent derrière lui", dira Tahar à un Driss endormi. Leur quête est sans fin, leur but n'est que prétexte : c'est le devenir qui importe car leur errance est celle d'une société en recherche d'elle-même, à qui l'on a renié la mémoire, pour qui la relation filiale est à réinventer. C'est un Maroc en devenir mais un Maroc paumé, tragiquement coupé de ses valeurs, qui peine faute de repères à s'inventer une modernité.
De même que la tragédie grecque étant née dans un contexte d'accélération de l'Histoire, Le Cheval de vent décrit, inscrit dans les individus, le tragique du Maroc contemporain, une modernité politique qui peine à définir ses marques et une réelle nouveauté après le système de la royauté absolue. Tahar et Driss sont écartelés entre la stagnation et l'incertitude. Ils savent qu'ils doivent partir, bouger, errer, pour tenter de recoudre les morceaux épars de leur compréhension du monde : "Il me faudrait une autre vie pour connaître les hommes", confie Tahar.
Le burlesque que développe le film est une tentative de réponse, une façon de se positionner en marge, une façon d'accepter les manques comme partie prenante de son identité. Si l'acceptation du vertige est une réponse, elle ne peut être que poétique. Daoud Aoulad Syad a soigneusement repéré des paysages sauvages, des murs en perspective, un environnement épuré et signifiant. Ce dénuement fait écho à l'anonymat moderne, à la déshumanisation orchestrée dans des lieux sans racines. Immergés dans un mode où toute rencontre ne semble être qu'une confrontation avec soi-même (tous les personnages secondaires rencontrés dans ce road-movie ne sont que des fantômes, reflets de leur propre condition), Tahar et Driss partagent une solitude telle qu'elle fonde leur solidarité.
Il fallait ces deux acteurs excellents, Mohamed Majd et Faouzi Bensaïdi, pour incarner cette violente amitié. Il fallait les lumières naturelles pour ancrer cette quête dans le monde. Il fallait la subtilité d'Andrée Davanture pour que le montage laisse à ce point sentir l'étirement du temps sans que jamais ne sourde l'ennui (elle tire clairement de sa grande expérience du cinéma africain le sens d'une rythme où la lenteur reste toujours signifiante). Il fallait un photographe comme Daoud Aoulad Syad pour que le cadre inscrive en permanence les personnages dans leur environnement. Il fallait aussi cette douceur de caméra, ces travellings glissant sur les acteurs, pour nous persuader que le tragique moderne est avant tout affaire d'humanité. Tout cela fait du Cheval de vent un film puissamment fraternel. Confirmant la qualité d'approche déjà démontrée dans Adieu forain, son premier long métrage, Daoud Aoulad Syad nous place avec Tahar et Driss face à notre propre condition humaine et nous offre ainsi une pathétique mais vivifiante méditation.

Olivier Barlet

France/Maroc, 2002, 35 mm, 1.85 coul, DTS 1 h 28, prod. POM Films et les Films du Sud, distr. POM Films (01 49 88 18 42), avec Mohamed Majd (Tahar), Faouzi Bensaïdi (Driss), Saâdia Azgoun (Mina) et Mohamed Choubi (Mestafa). Sortie France le 3 avril 2002.

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