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Baba Diop : " Pendant longtemps, c'étaient des Européens qui écrivaient sur les films africains "
entretien
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 20/03/2013

Le Président de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC) s'exprime, sur le prix Paulin Vieyra 2013 décerné au Fespaco, sur le rôle de la critique africaine, pour une critique qui ne soit pas exclusivement européenne. Il évalue en même temps le fonctionnement de la FACC.

Vous êtes le Président du jury du prix Paulin Soumanou Vieyra de la Critique africaine au 23ème Fespaco. Vous venez de le décerner à One man's show de Newton Aduaka, pourquoi ce choix ?

 

Vous savez, le jury de la critique ce n'est pas comme tous les autres jurys. À Ouaga, il y a cinq jurys officiels ; plus le nôtre cela en fait six. Si les autres, dans leurs analyses, tiennent compte aussi de l'impact du film sur le public, au-delà bien sûr des ses performances techniques, nous, ce que nous cherchons c'est de voir quel sont les films qui apportent un plus, qui ont une part de risque. Ça veut dire qu'effectivement on s'est retrouvé avec des films aboutis, comme Andromane, Yema, Les Enfants de Troumaron, Teymais, notre jugement c'est de dire qu'Aduaka a fait dans un genre qui est presque un cinéma expérimental. Une manière de dire " je cherche mon chemin, j'essaye de mettre en place un nouveau dispositif pour raconter une histoire ".

Avec ce cinéma, expérimental (au sens positif du terme), ça démontre qu'on a envie de faire avancer les choses et mettre en place des propositions nouvelles. C'est comme ça que le cinéma avance.

Avant cela, on a eu le cas de Djibril DIOP Mambéty avec Touki Bouki qui était un film très novateur et dérangeant, parce qu'il avait mis en place une manière de raconter l'histoire qui n'était pas linéaire. C'était par fragmentations, en introduisant aussi des éléments de référence au cinéma. Il y avait ce mélange de traditionnel avec la modernité. Ce qui faisait bizarre à l'époque où on cherchait à avoir un cinéma bien léché.

 

Newton Aduaka propose donc cette approche nouvelle mais aussi des qualités nouvelles. Il a voulu faire un film minimaliste (avec un minimum de décors, de mouvements de caméras, d'effets spéciaux…). Quand on retient la substance de ce film, on comprend que moi je ne suis pas l'autre et l'autre n'est pas moi ; il y a des espaces qu'on doit tout le temps négocier quand on est en relation. Il y a aussi l'autre aspect qui fait que le film est construit comme une pièce de théâtre. Il y a la conciliation entre le théâtre et le cinéma. Ça c'est intéressant aussi comme glissement. Le rôle du critique c'est de déceler ce qui, demain, fera de ce film une richesse.

 

Comment et dans quelles conditions ont travaillé les membres du jury ?

 

Je ne dirai pas comme tout jury, parce que le nôtre a ceci de particulier : nous sommes une Fédération. Nous nous  connaissons, même si physiquement on n'a pas toujours l'occasion de nous serrer la main. Mais de nom, nous nous connaissons, à travers notre site Internet. Dès cet instant, on se dit qu'il y a d'abord une complicité, ce ne sont pas des gens venus d'ailleurs, de disciplines différentes, qui peut-être vont se quereller parce que n'ayant pas les mêmes notions, les mêmes approches de l'image etc.

Nous avions une idée de ce que la critique peut apporter au cinéma. Nous n'étions pas là forcément pour chercher ce qui va plaire au public, ni non plus pour faire du politiquement correct, en essayant d'avoir une répartition géographique des récompenses qu'on va donner. Je ne jette pas la pierre, loin de là, aux autres jurys. Mais je veux dire que c'est une tentation qui est là et c'est déjà arrivé dans certains jurys.

 

Dès l'instant où nous sommes conscients que le rôle de la critique c'est aussi d'éclairer le public, de lui donner des éléments qui puissent lui permettre de mieux lire un film, la complicité est établie. Nous avons travaillé dans une convivialité admirable, parce qu'il s'agissait aussi de tisser des liens entre-nous. C'est vrai qu'on peut avoir des perceptions différentes pour un film, mais très vite on s'est accordé sur les films qui méritent d'être retenus. C'est vrai qu'après la première sélection, une poignée de films méritait d'être défendue, parce qu'ils étaient bien achevés. Mais c'est cette part de risque novateur pris par le réalisateur nigérian qui nous a beaucoup intéressés.     

 

Pourquoi vouloir décerner un Prix de la Critique africaine ?   

 

Il faut savoir que pendant longtemps, c'étaient (uniquement) des Européens qui écrivaient sur les films africains, selon des critères et des canaux qui leur étaient personnels. Ils chaussaient les lunettes de leur culture et analysaient ces films. Dès cet instant, le regard était un peu biaisé. Parce qu'il ne faut pas oublier que durant la colonisation, la culture africaine était présentée comme exotique. Ça faisait rêver, c'était un peu bizarre. Cette critique européenne était également complaisante, parce qu'elle disait que l'Afrique fait ses débuts dans le cinéma. Aujourd'hui les Africains sont venus avec une perception, un regard, qui se veut juste, débarrassé de tout complexe.

La critique africaine arrive donc en disant : " il faut que nos films soient visibles, qu'on en parle, qu'on écrive dessus, qu'on présente mieux nos réalisateurs ; et que même si un film n'est pas abouti, qu'on le dise ".

 

Je crois que ceux qui ont fait l'expérience de montrer leur film chez eux, avant qu'il ne soit vu ailleurs, ont beaucoup gagné. Je prends pour exemple le film Le président Dia. L'Association Sénégalaise de la critique Cinématographique (ASCC) a approché le réalisateur et il a proposé de nous le projeter en première mondiale. Nous avons écrit et alimenté le film ;  et je suis sûr que les critiques étrangers n'ont fait que s'inspirer de nos écrits. Donc, il est important de donner la primeur aux journalistes nationaux. Le prix de la critique africaine c'est un label que nous défendons.   

 

Retrouvera-t-on désormais un prix de la critique africaine au Fespaco ?

 

Ce prix existait, seulement il était en veilleuse, faute de soutien. À l'époque, le Facc n'existait pas encore. Le prix porte le nom de Paulin Soumanou Vieyra qui était aussi membre de la Fipresci (Fédération internationale de la Presse Cinématographique, Ndlr). Mais il n'y avait aucune structuration. On se retrouvait à Ouaga et, sous l'impulsion de Sembène Ousmane qui a beaucoup milité pour ce prix, de façon informelle on annonçait le Prix de la Critique lors de la remise des prix spéciaux. Cette année, il ya eu une meilleure structuration par la Facc. Puis, nous avons le Fespaco qui nous a offert certaines commodités, pour que nous puissions nous réunir dans un maximum de confort possible.

 

Cette année, Rfi [Radio France Internationale, ndlr] a également doté le prix de deux millions de Fcfa, ce qui est déjà une reconnaissance de la valeur de ce prix. Mais à l'avenir nous devons œuvrer pour une meilleure visibilité de ce prix de la critique qui ne mérite plus d'être confiné avec certains prix spéciaux.

C'est fondamental que ce prix soit hissé au plus haut niveau. Et j'espère que dans les autres festivals, pas seulement à Ouaga, on aura la possibilité de décerner le Prix de la Critique africaine.

 

La Facc a également tenu un atelier sur la critique cinématographique. Comment s'est-t-il déroulé ?   

 

L'esprit de cet atelier [au Centre d'Accueil Notre-Dame de Lorette, à Ouaga, durant le Fespaco 2013, ndlr] c'est d'outiller de plus en plus de jeunes journalistes s'intéressant à la critique, de leur permettre de savoir comment on peut regarder un film, l'analyser et lui donner beaucoup plus de visibilité. Depuis quelques années, on profite du Fespaco pour tenir des ateliers. Actuellement, on attire l'attention sur le fait que les bénéficiaires de cet atelier puissent à leur tour organiser des séances pour les membres de leurs associations. L'objectif étant d'asseoir une critique crédible.

 

La Fédération a par ailleurs tablé sur le renouvellement de l'actuel bureau dont le mandat est dépassé, qu'est-ce qui a été convenu ?

 

On s'est donné les moyens, en arrêtant des dates butoirs. Ce que je souhaite, en tant que Président, c'est que le congrès se tienne cette année, qu'on puisse changer. Dans un mois, les textes qui sont la base de notre Fédération doivent être renouvelés. Une fois les textes amendés par les associations, on va s'acheminer pour qu'en novembre on se donne les moyens de tenir un congrès. J'ai proposé qu'il puisse se tenir à Dakar et la préparation commence dès maintenant. L'autre alternative, c'est que si à un moment donné on voit que les choses avancent difficilement, on pourra voir s'il n'y a pas lieu de procéder par un vote via Internet. Quelque soit le système adopté, il faudrait qu'il y ait élection cette année, et les membres des deux premiers bureaux ainsi que les membres fondateurs de la Facc seront là pour accompagner le nouveau bureau.

 

Quels sont actuellement les projets sur lesquelles travaille la Facc pour se rendre plus visible ?

 

Nous devons d'abord nous consolider en étendant notre réseau d'associations. La Facc est également de plus en plus visible sur le Net, surtout que le plus important aussi, c'est d'avoir une grande production sur notre site Africiné. L'autre aspect c'est que la Facc devrait organiser des rencontres, que nous prenions en charge les réflexions sur la critique cinématographique, sur l'évolution de notre métier, sur les nouvelles perceptions du cinéma. Parce qu'on n'analyse plus les films comme avant. Au Fespaco cette année on a eu une diversité de genre, d'approches et le critique doit être au faîte et se nourrir de cette diversité

Je rêve également que la Facc puisse un jour, que ce soit à Dakar, à Yaoundé etc., organiser un festival où on pourra avoir les meilleurs films des festivals. Je crois que étape par étape on va y arriver. Le tout c'est l'organisation ; que les associations soient beaucoup plus structurées, qu'elles soient plus une force décisionnelle qu'une force d'attente, qu'elles expriment leurs visions et qu'on fasse la synthèse qui va constituer le cahier de bord de cette Facc que je rêve de plus en plus grande, qui aura la reconnaissance de l'Union africaine, des institutions régionales, pour nous permettre quand-même d'accompagner d'avantage le cinéma. Je vois aujourd'hui une relève jeune et forte, qui va constituer aussi une pression auprès de nos décideurs, afin que tout ce qui est en train de se mettre en place et d'être réalisé par les cinéastes leur fasse comprendre qu'ils doivent fortement soutenir le cinéma.

 

Si vous deviez faire un bilan du mandat de l'actuel bureau de la Fédération, que nous diriez-vous ?     

 

Hormis les ateliers que nous tenons, les échanges que nous avons sur internet, en termes de concret, on peut dire qu'on a trainé les pieds. Je suis prêt à le reconnaitre en tant que Président, le bureau n'a pas fonctionné comme il se devait, parce qu'effectivement tous les membres n'ont pas été présents, visibles à des moments donnés. Maintenant il faudrait que les gens disent pourquoi ils n'ont pas été là.

Tout ce qu'on a pu faire c'est d'obtenir une reconnaissance de siège à Dakar. Depuis quelques temps, on se bat pour avoir un local digne de ce nom et je crois qu'on est à quelques pas de l'obtenir. Nous avons rencontré, ici à Ouaga, le ministre sénégalais de la Culture qui nous a promis d'étudier avec nous les possibilités d'accompagnement. Le fait que nous n'ayons pas un compte en banque par exemple nous contraint à passer par Africultures, pour obtenir certains financements, notamment pour les ateliers. Mais on arrive à un moment où nous devons nous prendre en charge et trouver des financements.     

 


Propos recueillis par Pélagie Ng'onana

Africiné / Yaoundé

Envoyée Spéciale à Ouagadougou





 


Sur la photo : M. Baba Diop, Président Jury de la Critique africaine.

Crédit: Thierno I. Dia

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