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Entretien avec Jean-Pierre Bekolo, Prix Prince Claus 2015, réalisateur du film "Les choses et les mots de Mudimbe"
entretien
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 08/09/2015

" Quand on est capable de trouver le cinéma dans des choses anodines, il faut le faire sans plus se soucier des règles ".

Né au Cameroun en 1966, Jean-Pierre Bekolo est un cinéaste avant-gardiste. Son oeuvre truffée d'humour plonge dans les entrailles de questions universelles : le vivre ensemble, les conflits de génération, la condition de la femme, la liberté d'expression, la corruption. Auteur de plusieurs longs métrages, il passe aisément de la fiction au documentaire, parfois jonglant avec les deux registres dans le même film (Le Président, 2013).

Révélé en 1992 à Cannes avec son film Quartier Mozart (à l'âge de 25 ans), il réalise "Le Complot d'Aristote", pour les 100 ans du cinéma sur une série commandée par le British Film Institute à laquelle ont participé Martin Scorsese et Jean-Luc Godard. Il a été professeur à l'University of North Carolina à Chapel Hill, à la Virginia Polytechnic Institute et à Duke University. Il est l'auteur du livre Africa For The Future, le cinéma pourrait-il permettre d'accoucher d'un nouveau monde ? (2009).



Parfois crédité sous le nom de Jean-Pierre Bekolo Obama, il est un des lauréats du Fonds Prince Claus 2015. Les Prix Prince Claus récompensent des réalisations exceptionnelles dans le domaine de la culture et du développement. Ces prestigieuses récompenses hollandaises sont attribuées chaque année à des personnes individuelles, des groupes et des organismes dont les actions culturelles ont un effet positif sur le développement de leurs sociétés. " Le Prix Prince Claus est décerné à Jean-Pierre Bekolo pour sa créativité, sa résistance, son irrévérence et son travail de refonte des idées dominantes concernant le cinéma africain ; pour la création d'une œuvre innovante qui à la fois divertit et transmet un message socio-politique fort ; pour la grande originalité de son style ; pour sa façon de mettre en cause les représentations erronées des cultures africaines ; et pour sa façon de réaffirmer le pouvoir du cinéma ", estime le Comité Prince Claus Awards 2015.

 

En 2014, il produit un film fleuve de 243 minutes : Les Choses et les mots de Mudimbe. Philosophe, écrivain, poète et critique littéraire, Valentin Yves Mudimbe est né le 8 novembre 1941 en République démocratique du Congo. Mudimbe se concentre plus étroitement sur la phénoménologie, le structuralisme, les récits mythiques, ainsi que la pratique et l'utilisation de la langue.

Le cinéaste camerounais nous parle de ce documentaire-portrait qui dure 4h03 mins, montré en Première Mondiale à la Berlinale 2015, puis projeté à Yaoundé en avril dernier et au FID Marseille. Outre le Prix Pirnce Claus et ce documentaire sur Mudimbe, son actualité c'est aussi son film controversé, Le Président, sélectionné aux African Movie Academy Awards (AMAA 2015) dont la cérémonie se tient au Nigeria, le 26 septembre 2015.

 





Comment s'est faite la rencontre avec Mudimbe et quand décidez-vous d'en faire un film ?

Je le rencontre d'abord au cours d'une fête qu'on faisait en mon honneur parce qu'on voulait me présenter les membres de la faculté des Lettres, par la suite quand je suis venu à l'université (en Caroline du Nord), sa secrétaire est venue me souffler un peu de profiter de sa présence, de lui rendre un peu plus visite. Ce que j'ai fait. Il m'a pris par l'amitié, il m'a invité chez lui, on a commencé à se voir régulièrement, à parler de tout. Je suis parti de l'université, j'avais un membre de la famille qui est venu s'installer là-bas en Caroline du Nord, chaque fois que j'y faisais un tour, j'allais lui dire bonjour. Puis il y a eu l'exposition au Quai Branly (à Paris, ndlr) qui s'appelait " Diaspora ". J'ai fait le tour des États-Unis pour rencontrer les Africains qui avaient réussi. Avec le film Une Africaine dans l'espace, je voulais démontrer que les Africains peuvent tout autant servir l'Afrique en étant partis.

J'ai d'abord voulu l'interviewer à cette occasion, il a botté en touche ma demande. J'ai compris qu'il ne voyait pas l'intérêt de ce genre de choses et je n'ai pas insisté. J'ai continué à le fréquenter. Jusqu'au jour où je suis allé lui rendre visite,  il a évoqué le fait qu'il prendrait bientôt sa retraite et qu'il ne sait pas ce qu'il ferait de tous ces livres. Et là j'ai sauté sur l'occasion, je lui ai dit  ne prenez surtout pas votre retraite avant que je n'ai filmé cette maison. Plus tard je lui ai demandé quand est-ce qu'il était libre ? il m'a dit en septembre. Le moment venu, j'ai pris un billet d'avion et j'étais là-bas.

 

C'est vrai que l'idée de le filmer et d'en faire un film comme celui-ci, est surtout venue d'une curiosité personnelle, de voir comment ce genre d'intellectuel érudit s'est développé. Évidemment on a tous ce rêve de devenir comme ces gens finalement. Je respecte le savoir, la connaissance et les gens qui l'ont. Même-ci moi j'ai pris une voie qui n'est pas vraiment celle là. Je me suis dit, c'est important de voir un peu cet idéal matérialisé vivant et de le vivre un peu pour soi-même, s'imprégner et aider  les autres à s'imprégner de toutes ces connaissances.

 

Et vous avez plutôt pensé à un documentaire où il sera votre unique interlocuteur…

Est-ce que c'est vraiment un film dans le sens classique ? De nos jours, je commence à penser que les barrières sont en train de tomber. Je prends l'exemple des gens qui mettent les choses sur YouTube et qui sont vues par dix millions de personnes. Est-ce que ces gens là ont les mêmes exigences, les mêmes démarches que ceux qui font les films classiques pour le marché ? Et puis il y a autre chose, ce n'est pas un film qui a été financé par le marché. C'est-à-dire que j'avais eu l'occasion de filmer à l'époque quelqu'un qui est aujourd'hui reconnu comme le plus grand peintre Sud Africain, Gérard Sékoto. Je l'ai côtoyé pendant près de deux ans, et il est mort par la suite. En Afrique du Sud c'est un  Dieu aujourd'hui. Je ne l'ai jamais filmé. Et j'ai eu ce regret, c'est dommage, parce que les Sud Africains auraient su aujourd'hui qui est Gérard Sékoto, si je l'avais filmé. Je me suis dit, il ne faut plus que je répète ce genre d'erreurs. Le fait d'avoir une relation de proximité avec quelqu'un de ce calibre m'oblige presque à prendre ma caméra et ne pas me contenter du modèle de cinéma que je fais jusqu'à présent où j'écris tout,  je fais des castings, j'essaye de concocter un truc… A ma manière je me suis dit non, il faut aussi s'adapter, faire ce travail de mémoire. Ne pas juste se contenter du divertissement ou du film spectaculaire etc.

 

Quels sont les aspects les plus difficiles à gérer quand on tourne avec ce type de personnage ?    

D'abord il ya même l'angoisse de ne pas être à la hauteur. Au début j'aurai pu avoir une certaine réticence à lui poser des questions tellement je me suis dit qu'il va se moquer de mes questions. Comme il est très simple et très ouvert, du coup j'étais très à l'aise aussi. C'est-à-dire que le peu de connaissances que j'ai, je l'ai balancé, et je voyais comment il réagissait. La chance que j'ai eu c'est incroyable.

J'ai lu trois de ses livres. L'odeur du père, que j'ai beaucoup aimé ; et puis le fameux Invention of Africa qui est super dur à lire, et je ne peux pas dire que j'ai compris grand-chose. Mais là dedans il parlait de Foucault, et moi le seul livre de Foucault que j'ai lu c'était  Les mots et les choses. J'ai cité certains passages Des mots et des choses dans mes textes et mon livre que j'ai écrit. Une autre coïncidence c'est que Les mots et les choses a été écrit en 1966, l'année de ma naissance. C'est une conjonction de choses qui m'a fait me sentir à l'aise avec ce sujet, à un certain niveau.

 





C'est vrai que Mudimbe c'est quelqu'un qui sait tellement de choses, même s'il ne doute pas, il ne te fait pas tout de suite sentir qu'il a une position très radicale. Il t'écoute et il te dit deux ou trois choses qui montrent qu'effectivement il a compris ça depuis et que voilà la solution. J'ai envie de dire que ce qui était le plus dur c'était de le couper, de le relancer. Il faisait carrément un cours. Et j'ai eu ce problème même au montage. Mon focus était un peu comment je reconstruis cinématographiquement ces entretiens. Que ce ne soit pas simplement une vidéo de quelqu'un qui parle. Cela a pris environ un an.

 

Tout l'entretien se déroule dans sa maison, pas même de plans extérieurs, pourquoi ?

D'abord, je me disais le dehors ne sert à rien, ce n'était pas vraiment le sujet. L'autre chose c'est que la maison était tellement riche et dense. C'est la maison qui m'a donné envie de faire le film, c'est la maison le sujet du film. C'est pour cela qu'à la fin, je mets l'adresse de la maison. Je me suis dit quelqu'un qui dédie sa vie à la connaissance vit d'une certaine manière. Evidemment, lui, c'est un peu excessif parce qu'il est un moine à la base, bien qu'il se soit marié par la suite et fait des enfants. Je trouvais que ce qui était important, ce n'est pas seulement les connaissances mais aussi sa façon d'être. C'est pour cela que la maison est importante. Je me suis interrogé : est-ce que je vis comme je devrais vivre ? Il collectionne plein de choses, il a une idée de l'homme dans sa globalité à travers les objets et les écrits. Je trouvais que c'était intéressant d'extérioriser la connaissance. Je n'avais jamais vu ça de cette manière là. Et puis on voit bien qu'il est militant même dans son silence, mais il n'a pas besoin de le crier sur les toits.

 

Vous produisez, réalisez, montez le film en même temps que vous signez l'image et le son. Est-ce un message à l'endroit des bailleurs de fonds ?

Mon premier principe c'est qu'on ne doit pas arrêter de travailler en tant que cinéaste. Quelque soit la situation financière dans laquelle on est. Et puis, je suis sûr que si j'étais avec quelqu'un d'autre il n'allait pas parler comme il l'a fait. Je crois que c'était vraiment une rencontre à deux. Et du coup il se livrait. Je pense que ce qu'on perd peut-être en qualité de caméra, on le gagne en contenu. Et puis, au fond aujourd'hui il faut maintenant savoir identifier où est le cinéma dans tout ce qu'on fait, dans tout ce qu'on vit. Quand on l'a identifié, on peut l'appliquer avec une caméra. Pour moi, c'est un exercice qui a pour objectif d'affirmer sa capacité à faire du cinéma peut importe les moyens dont on dispose. Ce qui est évident c'est que quand on est capable de trouver le cinéma dans de petites choses, dans les choses anodines, je crois qu'il faut le faire sans plus se soucier des règles. Le cinéma je crois que je le comprends, je l'ai intégré à  un certain niveau, maintenant je le fais et je m'en fous un peu des règles.

Je crois que même le film Le Président [2013, ndlr] je l'ai un peu fait comme ça. Je me dis, je veux raconter cette affaire, voilà ce dont je dispose ; avec ce que j'ai je concocte ma sauce et j'essaye de faire en sorte que ce soit quelque chose de regardable. Je crois que c'est un peu dans cette direction que je veux aller de plus en plus. Parce qu'au final nous servons toujours des systèmes. Nous faisons des films dans un format, qui sont achetés ou pas par le système. Malheureusement il y a plus de produits comme ça qu'on n'achète pas, alors que les gens y ont mis beaucoup de temps, se sont endettés, mis leur familles dans la misère parce qu'ils voulaient avoir les moyens de faire pour le système. Mais ce système, surtout en ce qui concerne le cinéma africain, nous a toujours crachés dans la figure. Ils veulent vraiment que tu sois presque rampant, que tu sois en train de les servir. Et souvent sans s'en rendre compte, beaucoup de cinéastes africains servent un système qui ne le leur rend pas.







Votre documentaire dure quatre heures de temps, pas très pénible pour le spectateur ?

Dire que ce n'est pas évident de s'asseoir quatre heures pour avoir des connaissances qui prennent des années à des gens à l'université, je ne sais pas. Ils ont le temps pour quoi alors ? Si les gens ne peuvent pas s'asseoir quatre heures pour regarder un type qui connait tant de choses. Je trouve qu'on a décidé de ne pas finalement acquérir ce type de connaissances par la télévision ou par le cinéma. En plus on ne sait plus qui a décidé cela. Pourtant on s'assoit dans une salle de classe pendant quatre heures. C'a l'air d'être normal pour un cours, mais un même professeur que je prends et remets dans un film, le système du cinéma refuse que ce soit possible. Pour moi c'est aussi comme une espèce de message. D'accord, si vous ne voulez pas voir Mudimbe tant pis. C'est comme dire qu'on ne peut pas écouter Jésus pendant quatre heures, si vous êtes croyants vous-mêmes vous savez ce que ça aura comme conséquence sur vous. Donc je crois que c'est important de ne pas se soumettre à un système qui ne nous favorise pas. Nous sommes en défaveur totale. Pourquoi les Européens ou les Américains n'ont jamais fait un film sur Mudimbe ? Pourquoi les centaines, les milliers de chaînes de télévision ne se sont pas intéressées à lui. Pourtant, il est connu.

 

Il faut éviter ce que j'appelle double peine. C'est-à-dire non seulement vous servez les maîtres qui ne vous ont pas payés, en plus de ça le contenu va être édulcoré. Le pragmatisme, je trouve qu'il n'a pas de sens. C'est toujours ce système là qui fini par dicter le type de film qu'il faut faire. Faire un film sur Mudimbe est déjà un choix un peu dissident. Maintenant s'ils veulent le film ça devient autre chose. On peut faire des versions, mais au moins le " director's cut " et la vision du réalisateur sont là. Mais je ne crois pas que le marché aujourd'hui est tel que des gens se battraient pour un documentaire sur un type comme ça. Mais Tv5, Canal Afrique ce ne sont pas des vraies chaînes. C'est des espèces de trucs où les multinationales françaises justifient un peu leur commerce en Afrique. On comprend bien ce qu'ils sont en train de faire. Maintenant attendre des choses de tout ça, moi je n'en attends rien.

 

À la fin, qu'est-ce qui vous fascine le plus chez ce personnage ?

Ce n'est pas le gars qui exclut plein de choses. Ça ne fait pas longtemps qu'il s'est mis à l'ordinateur  mais il est sur Facebook. En fait tout l'intéresse. En plus, il ne le dit pas dans le film, mais il est Shérif honoraire de la ville de Durham et il donne des cours aux prisonniers. Il fait ce genre de choses, en marge, qui ne sont pas forcément des choses intellectuelles. Il décide quel temps il accorde à ce qui est vraiment important. Il parle de l'intellectuel sacerdotal qui enseigne les choses selon la tradition et de l'intellectuel prophétique.

 

Et dans quel camp vous retrouvez-vous ?

J'ai trouvé ça très intéressant, parce que moi je ne suis pas du tout un homme de la tradition. Je ne me sens donc pas intellectuel sacerdotal, mais plus prophétique. C'est-à-dire que sans savoir comment, j'arrive à décortiquer les choses et je les balance, on ne sait pas vraiment d'où je les tire.  Et les gens se sentent agressés dans cette façon de regarder. Tu sens que les gens ne veulent pas de toi mais ils sont prêts à utiliser petit à petit ce que tu as dit. Dans ce sens là, la carrière politique ne m'intéresse pas. Parce que ça ne sert à rien d'arrêter de dire des choses claires et vraies pour plaire. Mais je crois que lui, il est les deux. Avec Invention of Africa, il vient dire aux gens une vérité qui était là mais que personne n'avait vue. Il la pose comme paradigme de départ pour revoir l'Afrique, pour la reconsidérer. Et je crois qu'en cela il est beaucoup inspiré par Michel Foucault, qui, lui aussi, est un intellectuel prophétique. Ils ont étudié la même discipline : la philologie (l'étude des textes anciens)  qui donnent une véritable discipline intellectuelle à tous ceux qui l'ont étudiée. Ce n'est pas un hasard si les gens qui ont étudié la philologie se retrouvent à travailler à un très haut niveau dans les connaissances. Ce qu'on fait nous affecte, nous change et nous transforme. Si tu décides de faire la politique sache que le fait de faire la politique va te changer. Mais est-ce que tu as envie de devenir ce genre de personne là ?

 

Mais est-ce qu'on peut véritablement changer les choses sans s'impliquer dans la politique ?

Je reviens à Karl Marx. Avec ses livres et Le Capital il a changé le monde. Il n'a rien appliqué. Il se dit que sur son lit de mort, il a dit : " ils se souviendront de moi ". Sa démarche était très politique mais ça se résumait à des documents qui font que des nations se sont érigées au nom du marxisme. Je pense qu'historiquement on a des cas des gens qui produisent des idées et qui critiquent un modèle en cours pour proposer un autre modèle. Tout le monde reconnait que ceux qui ont mis le marxisme en pratique évidemment l'ont fait avec leur perversité humaine. Ce n'est pas forcément celui qui a analysé ou mis en place la chose qui doit l'appliquer. On a les cas d'Evo Morales [Président de la Bolivie, ndlr] et Hugo Chavez [ancien Président du Vénézuela, mort en 2013, ndlr]. Ce que je veux dire, c'est qu'un intellectuel qui dirige en tant que tel est-t-il vraiment un intellectuel ? C'est comme une entreprise. L'intellectuel propose un projet de société et les gestionnaires se chargent de le mettre en place. Les contrôleurs viennent voir si les résultats attendus ont été atteints. A mon avis c'est un peu ça le schéma. Mais ici, d'abord on appelle tout intellectuel. Dès qu'on a beaucoup de diplôme on est intellectuel. Un intellectuel c'est quelqu'un qui s'intéresse aux idées, à avoir un regard critique sur la société. Je pense que quand on prend quelqu'un qui a une forte capacité d'analyse, un fort potentiel intellectuel, il se  retrouve à gérer ; non seulement il n'est pas à sa place, il est affaibli en tant qu'intellectuel. Parce que du coup il n'a plus ni le temps, ni l'espace pour faire ce qu'il sait bien faire. Le deuxième volet c'est la capacité de leadership. C'est le leader qui a la capacité d'implémenter une vision. L'idée c'est d'identifier les leaders, parce qu'on naît leader. On peut à la limite acquérir quelques qualités de leadership mais les vrais leaders le naissent. Ici, on mélange un peu ces différentes qualités.  Je pense que l'idéal serait effectivement de trouver une espèce de fonctionnement de groupe où chacun peut jouer sa partition. Ça ne marche pas que dès que les administratifs ont le pouvoir, ils deviennent des intellectuels.

 





Malheureusement dans notre pays, je n'ai jamais entendu notre président [Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, ndlr] citer quelqu'un, par exemple Martin Luther King, [Nelson] Mandela qui étaient des visionnaires, ni même un théoricien. On est donc dans un pays où un président pendant 32 ans n'a jamais dit que nous allons suivre la voie tracée par un tel. Et dans notre attitude de griotisme, nous lui donnons les capacités intellectuelles qu'il n'a pas. Je trouve que c'est une espèce de péché contre l'intelligence. Il s'agit d'abord de clarifier comment ces choses fonctionnent ou pourraient fonctionner avant de commencer à trouver la voie à suivre. On nous dit que la même personne qui n'a pas émis une théorie qui est appréciée par des pairs intellectuels nulle part, c'est elle qui impulse une vision dans tous les secteurs économie, éducation, infrastructures… Je trouve que nous sommes plombés parce que d'abord, on n'a pas un système qui permet aux idées d'accéder ou d'inspirer ceux qui sont en charge de la gestion. Le fameux décret présidentiel dont ils parlent les amène à écraser tout, à devenir tout. On ne respecte plus les idées, vous vous retrouvez en train de croire que les idées ne valent rien pourtant tous les jours nous recevons le produit des idées des autres. Tout ce qui est idée locale est relégué au folklore. On voit bien qu'on reste aliéné et que c'est le modèle colonial qui demeure.         

 


Propos recueillis par Pélagie Ng'onana

Africiné / Yaoundé

pour Images Francophones

 

Photo : Le cinéaste camerounais Jean-Pierre Bekolo en tournage

Crédit : DR

Pélagie Ng'onana

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