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Entretien avec Prof Samba Gadjigo, coréalisateur de Sembène! : "Pour des centres d'études du cinéma dans nos universités africaines"
entretien
rédigé par Bassirou Niang
publié le 14/09/2016

Le cinéma est une conscience qui éclaire les peuples, à résumer cet entretien que nous accorde M. Samba Gadjigo (professeur de littératures francophones et de cinéma au Mount Hlyoke College de Massachusetts et qui par ailleurs fut pendant de longues années un proche collaborateur de Sembène Ousmane). Aussi, est-il nécessaire de savoir sauvegarder toute cette richesse qu'elle offre en ayant le courage d'assumer les responsabilités la rendant possible. Le film Sembène ! (réalisé par Samba Gadjigo et Jason Silverman, 2015, Senegal / USA, a bénéficié d'une aide à la finition par l'OIF). Entretien.



Neuf ans après sa disparition, comment définiriez-vous Sembène ? Qui est Sembène ?



Samba Gadjigo : Il est très difficile de cerner Ousmane Sembène d'autant que toute définition tend à cristalliser l'individu dans une posture monolithique. Sembene était et demeure un homme très complexe, comme nous tous, êtres humains. Mais s'il faut user de formules, je me risquerais à dire que "Ousmane Sembene était un militant de la liberté qui a usé de sa plume et surtout de sa caméra comme arme de combat." En outre, c'était un homme qui avait une foi irréductible dans la vertu rédemptrice de l'art qui, de par sa nature créatrice, permettait seul à l'homme à la fois de douter de Dieu et de se rapprocher de LUI en même temps. Ainsi, pour lui, l'homme doit être responsable de son propre destin et de celui de sa société. L'homme (la femme) de culture est celui (celle) qui doit exprimer les défis et les rêves les plus intimes de ses contemporains. Il ne doit pas seulement être "engagé" mais "embarqué" dans tous combats de ses contemporains.

 



 

Qu'est-ce que le cinéaste africain et le politique doivent-ils retenir de lui ? De même pour la jeunesse ?



Le cinéaste, surtout celui issu de nos sociétés, doit se rendre compte que l'art ne saurait être une simple quête solitaire de jouissance esthétique individuelle et bourgeoise, mais plutôt que le véritable cinéaste est celui qui conçoit son travail comme "une école du soir", un forum pour l'éducation du peuple. Dans ce sens, Sembene se fait bien l'écho de la formule de Lénine selon qui, après et pour servir la révolution de 1917, le cinéma est le plus important de tous les arts. De même, il ressort de cette conception de l'art que le véritable politique est celui qui voue sa vie et son travail à "servir" son peuple  et non "à s'en servir" à des fins personnelles.

 

Quel est le sentiment qui revient le plus chez les Américains quand ils ont fini de voir un film de Sembène ?



Le travail de Sembene jouit d'un très grand succès parmi les intellectuels et artistes progressistes américains, noirs et blancs. Comme cinéaste indépendant, jouissant d'une relative liberté par rapport au grand capital financier des studios de Hollywood, "il a su se faire la voix des sans voix, la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche" pour reprendre la célèbre formule d'Aime Césaire

 

Au vu de l'immense richesse de son œuvre, que préconisez-vous pour la sauvegarde de cette mémoire qu'est Sembène ?



Il est plus que temps d'ouvrir dans nos universités des centres d'études du cinéma africain mais cela supposerait une véritable vision de la part de nos dirigeants dont on pourrait vraiment se demander s'ils ont "un projet de société", sinon celui de s'insérer le plus rapidement possible dans une prétendue "mondialisation" qui vide déjà nos sociétés de toute leur substance, pour en faire des consommateurs de valeurs venues d'ailleurs. Regardez ce qu'on nous sert comme menu dans nos télévisions locales. Pour citer Cheikh Hamidou Kane, "quand le bras est faible, l'esprit court de grands risques". Ouvrir des centres d'études du cinéma africains dans nos universités supposerait que nos dirigeants croient en eux-mêmes et en nous Africains. Ce n'est pas encore le cas.

 

Quel est votre projet pour sauvegarder les archives de Sembene ? Et pas seulement Sembene.



Sauvegarder les archives de Sembene, d'Aminata Sow Fall ou de Cheikh Ndao est un devoir impératif pour la préservation de notre mémoire collective sans laquelle il ne saurait y avoir de culture. Ce n'est pas un seulement un travail pour les faibles épaules de Samba Gadjigo ou de tout autre universitaire sénégalais quel qu'il soit. C'est une responsabilité collective, à commencer par l'Etat.

 

Avez-vous essayé de chercher des fonds pour la réalisation du film Almamy Samory Touré laissé à l'état de projet par Sembène ?



Lors de l'hommage national rendu à Sembene a la Place du Souvenir en Juin 2008, le Président Wade avait promis d'octroyer des fonds pour la réalisation de Samory. La promesse a été oubliée aussitôt que les projecteurs se sont éteints. Il semble qu'entre réaliser Samory et construire des villas à l'étranger, nous avons fait un choix qui reviendra nous hanter sous peu. "Ku wacc sa andd, andd bo war mu tocc" ("Il n'est jamais productif d'abandonner sa culture pour celle de l'autre", en wolof).



Envisagez-vous de réaliser un autre documentaire sur Sembène et son œuvre ?

Mon projet le plus immédiat c'est de m'assurer que le présent documentaire est vu par le plus grand nombre en Afrique et dans le monde. Il y a d'autres cinéastes qui pourraient faire d'autres documentaires sur Sembène, Cheikh Anta Diop, Amadou Makhtar Mbow et/ou Valdiodio Ndiaye.



 

Propos recueillis par Bassirou NIANG

Africiné Magazine, Dakar

pour Images Francophones

en collaboration avec Africultures

 



A LIRE : La critique "Sembène!, de Samba Gadjigo et Jason Silverman -  Un chuchotement à la mémoire..." par Bassirou Niang (Africiné Magazine)





Image : Professeur Samba Gadjigo, coréalisateur et coproducteur du film Sembène !

Crédit : DR

Bassirou NIANG Dakar - SENEGAL

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