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JCC, Tunis : Entretien avec le directeur du festival afro-arabe (et les nominations 2016)
Brahim Letaïef : "Dialoguer est la chose la plus habituelle, la plus concrète des JCC"
entretien
rédigé par
publié le 28/09/2016

Les Journées Cinématographiques de Carthage sont passées à une périodicité annuelle, après avoir été une biennale (tous les deux ans, en alternance avec le Fespaco, Burkina Faso, dans le passé). Entretien.

Réalisateur, producteur de film, Brahim Letaef est le premier directeur des Journées cinématographiques de Carthage dans sa version annuelle. La 26ième édition des Jcc a été quelque peu douchée par l'attentat de l'avenue Mohamed V suivi du couvre-feu et de l'instauration de l'état d'urgence. En dépit de cela, le public a répondu aux attentes en envahissant les salles pendant la journée.

 

Dialoguer rêver et avancer, trois mots que vous aviez mis au-devant de la scène avant l'ouverture de cette 26ième édition des Journées cinématographiques de Carthage. Votre attente a-t-elle été comblée ?

B.L. : Dialoguer oui, je crois que dialoguer est la chose la plus habituelle, la plus concrète des JCC. Donc le dialogue est présent un peu partout. Il s'est renforcé avec la présence des invités compte tenu des événements que nous avons vécus durant ce festival qui nous fait entrer dans le Guinness book du premier festival à être tenu pendant un couvre-feu. Donc le dialogue a été là. Rêver ? Nous avons rêvé d'un grand festival qui réhabilite le cinéma arabo africain dans son fief naturel que sont les Journées cinématographiques de Carthage. Je pense que notre rêve a été inachevé mais il a été concrétisé dans la programmation. Inachevé dans les événements qui nous ont un peu bousculés. Rêver d'avoir un record d'audience et ça on en rêvait. C'était un pari difficile mais finalement, il s'est concrétisé et là c'est un point positif des événements qui ont permis aux spectateurs tunisiens d'être très solidaires avec Jcc surtout qu'on avait pris la décision de maintenir le festival sans attendre la décision gouvernementale. Le gouvernement a suivi, malgré le couvre-feu, en nous aidant sur le plan sécuritaire afin de maintenir le festival.

 

Avancer maintenant, puisque cette édition clôt le chapitre de la biennale et ouvre celui d'une manifestation annuelle.

B. L. : Exactement avancer et confronter l'option annuelle avec la réalité. Là c'était une session charnière. Je pense que le cinquantième anniversaire des JCC devrait porter les espoirs de cette avancée, de ce rêve et de ce dialogue.

 

Quel enseignement tirez-vous du fait que l'attentat du 24 novembre n'a pas refroidi le public ? Les salles du centre-ville étaient toujours remplies.

B.L. : Je crois qu'il y a un ras-le-bol aujourd'hui de cette histoire de Daesh et de l'intégrisme. C'était là, la meilleure façon de répondre. Le peuple tunisien était héroïque dans sa réponse à l'intégrisme religieux pendant les Jcc. Une salle de cinéma est un lieu de culture, de dialogue et de rêve aussi. Un attentat plus un couvre-feu avec l'état d'urgence et malgré tout les salles se remplissent ; voilà un acte très important.

 

Il y avait pourtant la crainte d'avoir des manifestations hostiles à la diffusion de Much loved de Nabil Ayouch interdit au Maroc.

B.L. : J'étais au festival de Cannes, c'est là où j'ai choisi le film. Donc bien avant la polémique. Le film n'était pas encore interdit au Maroc. Toute la polémique engendrée par le film par la suite nous a touchés. Je confirme encore que le choix du film pour Carthage est intervenu bien avant la polémique. Much loved traite d'un sujet de société qui mérite bien de l'être. Je  pense que c'est la force de ce film-là. Le film a eu un buzz après. On appréhendait bien sûr sa projection en pleine polémique. Finalement la projection s'est bien déroulée. Il y avait 1 600 personnes dans la salle Le Colisée. Malheureusement, on n'a pas pu faire une deuxième projection à cause du couvre-feu. La projection de presse a été annulée, parce qu'on devait réorganiser la programmation. Le film méritait d'être vu. […]. En lisant la presse, il y en a qui ont aimé, d'autres pas. Cela a divisé la société en Tunisie  comme elle l'est aujourd'hui parce que divisée depuis la révolution.

 

Elargissement du public. Il y a eu des projections en prison.

Les projections en prison constituent un autre challenge. Moi, en tant que réalisateur, j'ai l'habitude d'aller projeter mes films en prison mais à aucun moment il n'y avait dialogue entre moi et les prisonniers. Là, la donne a changé. On arrive en prison, on projette quatre films. Les réalisateurs sont là. On instaure un dialogue avec eux. Les journalistes sont autorisés à entrer. Un vrai challenge. Je pense que c'est l'une des réussites de ce festival.

 

Quel bilan tirez-vous de cette 26ième édition des Jcc ?

Le bilan je ne pourrais pas le tirer aujourd'hui. Le couvre feu ne nous a permis de faire tout ce que nous avions prévu de faire. Malgré tout, le couvre-feu avait ses côtés positifs puisqu'il a permis un élan de solidarité pas seulement pour les Journées Cinématographiques mais un élan de solidarité entre ce peuple héroïque qui dit non au terrorisme. Mais là où j'ai un peu de regret, c'est que mes invités n'ont pas pu bien profiter des Jcc en dehors des projections. On avait préparé tout un programme pour eux mais je pense qu'ils étaient solidaires. Je remercie les 417 invités du Festival de nous avoir soutenu et d'avoir été solidaire, d'être resté en Tunisie, de n'avoir pas pris le premier vol du matin pour rentrer chez eux comme c'était attendu et comme je l'avais pensé un laps de temps avant de prendre ma décision de maintenir le festival quand j'ai appris l'attentat.

 


Propos recueillis par Baba Diop

Africiné Magazine, Dakar

pour Images Francophones

en collaboration avec Africultures

 



 

À lire : l'article de Neila Driss sur Webdo.tn avec la liste complète des films en compétition aux JCC 2016.



Image : Brahim Letaïef, directeur des Journées cinématographiques de Carthage, JCC

Crédit : Mahrez Karoui / magazine Africiné

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