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"Je le dis avec tristesse, nous avons raté ce rendez-vous"
Entretien du réseau Presse & Cité avec Christiane Taubira
entretien
rédigé par
publié le 18/01/2014

Christiane Taubira, ministre de la Justice, regrette que le gouvernement n'ait pas su se montrer à la hauteur à l'occasion des trente ans de la Marche pour l'égalité et contre le racisme. Celle qui s'est battue en 2001 pour la loi mémoirielle sur la reconnaissance de l'esclavage comme un crime contre l'humanité estime que la Marche doit s'inscrire dans la mémoire collective.

Carole Dieterich / Afriscope : Comment inscrire la Marche pour l'égalité dans notre histoire nationale ?
Christiane Taubira : On ne peut pas faire une loi mémorielle avec des aspects normatifs, comme sur l'esclavage. La Marche est un événement social, par lequel des gens ont décidé de s'affirmer dans la société et de donner des visages à la question des crimes racistes ; cela doit avant tout s'inscrire dans la mémoire collective et dans les politiques publiques. Les pouvoirs publics doivent seulement s'interroger aujourd'hui quant à savoir si la citoyenneté s'exerce de façon pleine et entière lorsque l'on affiche des différences visibles. Les dernières semaines ont rappelé que ce n'est pas gagné.
Erwan Ruty / Presse & Cité : En France, l'histoire s'écrit par en haut ; or, l'Etat n'a pas pris la parole à l'occasion de ce trentième anniversaire…
Christiane Taubira : Je le regrette. Dès le mois de mai, j'ai reçu à la Chancellerie des associations pour savoir ce qui s'organisait et s'il se dessinait quelque chose avec une ambition nationale, qui s'adressait à l'ensemble de la société française. Il y a une responsabilité publique. Nous avons raté ce rendez-vous, je le dis avec tristesse. Il y a des mots à prononcer, des choses à construire, et cela ne peut pas se faire uniquement à travers le travail d'associations dans des territoires précis. Nous aurions dû avoir un grand rendez-vous. J'ai découvert des choses étonnantes, certains marcheurs disaient : "C'est du passé, les jeunes ne savent pas que ça a existé !" Mais si on n'apprend pas ce qui a existé, on ne peut s'inscrire dans une filiation, dire : "Je suis un héritier de luttes sociales émancipatrices."
Sebastien Gonzalvez / Lyon Bondy Blog : Un rapport de la Commission consultative des droits de l'Homme de mars dernier note une augmentation de 58% des actes antisémites, et de 30% des actes antimusulmans. L'Etat se donne-t-il suffisamment les moyens de lutter contre ces faits ?
Christiane Taubira : J'ai diffusé une circulaire aux parquets, dès juillet 2012, pour demander de faire tout ce qui est possible pour lutter contre les actes racistes, antisémites, les discriminations et actes xénophobes. On a modifié les délais de prescription de trois mois à un an ; j'ai rappelé que l'on peut déposer plainte sans constitution de partie civile, et j'ai vérifié qu'il y avait bien, dans toutes les cours d'appel, des pôles anti-discriminations ou un magistrat référent dans tous les tribunaux de grande instance.
Moïse Gomis / Radio HDR : Dans les quartiers, depuis l'époque de la Marche, il y a encore un rapport compliqué entre les habitants et la Justice. Qu'en pensez-vous ?
Christiane Taubira : Il ne faut pas généraliser, mais il est aussi vrai que les rapports entre les citoyens des banlieues et les institutions en général doivent être améliorés, que cela soit avec l'école, les structures sociales ou la culture. Mon rôle a été tout d'abord de détacher la Justice du pouvoir politique. Elle doit protéger les citoyens les plus faibles. On peut discuter du ressenti ad
vitam aeternam, il relève de ma responsabilité de faire en sorte que les délais soient respectés et que les moyens et effectifs sont là pour que la Justice fonctionne normalement.
Mohad Aït Alibouch / Kaïna TV : Les attaques racistes sont-elles plus violentes depuis que vous êtes ministre ?
Christiane Taubira : Oui, incontestablement. Mais le plus grave, ce sont les paroles politiques. Indépendamment de ma personne, le racisme n'est pas une opinion, mais un délit qui touche des millions de personnes vulnérables. Et qu'on s'autorise maintenant plus ouvertement à la télé ou à la radio, sur la place publique, est un indicateur que la violence du rejet de l'Autre s'accentue et que les gens se débarrassent des règles de la décence. Si des gens sont travaillés par une incapacité structurelle, psychologique, à admettre l'existence et la présence de l'Autre, qu'ils l'expriment chez eux face à leur miroir, mais pas dans l'espace public -il en va du pacte social, républicain.

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