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Le Gang des Antillais, c'est lui
Entretien de Mélanie Cournot avec Loïc Léry
entretien
rédigé par Mélanie Cournot
publié le 28/11/2016
Loïc Léry
Loïc Léry

Arrivé en métropole dans les années 1970, le jeune martiniquais Loïc Léry va sombrer dans la spirale du banditisme. En prison, sous l'impulsion de son éducateur, Patrick Chamoiseau, il va libérer son "moi-antillais" et se muer en écrivain. Son roman autobiographique Le Gang des Antillais vient d'être réédité par Caraïbes éditions, à la faveur de son adaptation au cinéma. Rencontre.

Aide-soignant au CHU de Fort-de-France, en Martinique, vous étiez dernièrement consultant auprès du réalisateur Jean-Claude Barny qui a adapté à l'écran votre roman Le Gang des Antillais (sortie le 30 novembre). Comment se passe votre rencontre ?
Passionné par le roman, qui lui évoque l'époque de sa mère, Jean-Claude Barny était sur le tournage de Tropiques amers, lorsqu'il m'a contacté. Une amitié s'est instaurée. Présent sur le plateau, j'étais le garant de la véracité des faits. La difficulté pour moi était de ne pas créer une confusion entre mon parcours, mon roman et son film. Avec les problèmes identitaires actuels, porter une flopée de Noirs à l'écran, ce n'est pas dans les coutumes du cinéma français. Un à deux ans avant Barny, le groupe Secteur Ä m'avait contacté, cela n'a pas fonctionné. Avoir les fonds s'est avéré compliqué, beaucoup de personnes, n'y croyaient pas. Barny a dû se battre six ans durant.

Au premier visionnage, qu'en avez-vous pensé ?
A mon premier visionnage le film n'était pas terminé, sans sa musique originale, j'étais dubitatif ! Mais durant l'avant-première en Guyane, en voyant la réaction des spectateurs, j'ai compris qu'avec très peu de moyens, on avait réalisé un film important. Jean-Claude a su faire un film universel tout en parlant de nos problèmes particuliers, c'est un grand. J'ai subi, mais j'ai également commis des actes répréhensibles. Je pensais que cette histoire personnelle était difficilement partageable. Le public est emballé et les métropolitains sont les premiers conquis, étonnant !

Vous suivez avec intérêt les critiques adressées au film pour rappeler que Le Gang des Antillais "n'est pas un film de braquage". Quelle est la grande Histoire qui se cache derrière ?
L'itinéraire de Loïc Léry, est celui d'un jeune homme qui croyait en cette France, tant vantée. Il s'accroche, il est père… certes devenu braqueur, mais c'est un bosseur. Dans le film, les braquages ne sont pas mis en exergue, c'est plutôt les itinéraires qui comptent avec l'héroïsme de ce personnage qui part durant la période du Bumidom, une structure qui balançait les Antillais vers la France, sans billet d'avion retour, pour effectuer des boulots de subalternes. On s'identifie, peu importe l'époque, la nationalité, l'origine. Chaque personnage du film apporte une lecture différente de cette époque : l'un plus dur et sectaire, comme Molokoy, l'autre plus ouvert comme Jimmy.

Justement à l'écran votre personnage Jimmy, interprété par Djedje Apali, évolue, il se forge des convictions idéologiques auprès de Politik leader du Gang, comment cette période vous a-t-elle forgé ?
Au moment où Politik avait justement des convictions politiques, de mon côté, j'étais enfermé dans une réalité sociale. Dans cette prison, grâce à la culture et la relation avec un éducateur, Patrick Chamoiseau, je comprends qu'il y a une force culturelle et une fierté dans ce passé. Le garçon que j'étais, se met à croire en lui, à écrire, alors qu'il est autodidacte. D'une trajectoire de criminel ce garçon va se muer en écrivain. Avec l'envie de partager sa culture, faire comprendre aux Antillais que nous sommes un peuple digne, non soumis.

Quel rôle a joué l'auteur Patrick Chamoiseau dans l'écriture de votre roman et plus largement quelle est votre relation à la littérature ?
À l'époque, Chamoiseau avait publié la pièce de théâtre Maman Dlo contre la fée Carabosse. Il débutait un processus littéraire et n'était pas encore un auteur renommé. Il m'a incité à écrire. Mes influences viennent de l'auteur noir-américain Chester Himes, Jorge Amado ou encore Frantz Fanon. Mon souhait était d'écrire pour le peuple, créer un dialogue, contrairement aux intellectuels antillais de l'époque.

Quel est votre regard sur les rapports entre les Antilles françaises et la métropole ?
Je fais une différence entre le peuple et l'Etat français. Ce dernier a un comportement colonial et machiavélique, sans respect pour le peuple antillais. C'est en prison, dans cette jungle, que j'ai compris les rouages de la politique française. Ce que je réclame ? Soit je suis entièrement français, soit je ne le suis pas du tout ! Ce que l'on appelle un indépendantiste. Les Antilles cumulent les plus forts taux de chômage. La France a des efforts à faire, je ne crois pas en son paternalisme, ni en sa justice. Par contre, je ne regarde pas le Français, comme un étranger, un autre. Mon désir est de me battre par la culture avec mon peuple pour notre dignité, notre respect.

Comment réagissent les jeunes générations, en Martinique sur ces questions ?
Les jeunes rencontrent les mêmes problèmes qu'à mon époque. Ils ont des niveaux scolaires supérieurs, des connaissances en histoire, en géographie, etc. Mais ils sont annihilés culturellement. Ils vont citer à tout-va Vercingétorix, comme les hommes politiques, mais auront des difficultés à vous expliquer qui est Fanon ou Cheikh Anta Diop. Chamoiseau, Confiant… la Martinique a produit une flopée d'hommes de lettres et de sciences pour un pays de 70 km de longueur, pour 30 km de largeur. Mais parlez aux jeunes générations de Delgres, Ignace, de tous ces révoltés, esclaves… On a balayé l'Histoire de ces jeunes... Réciproquement, jamais les petits français apprennent que mes grands-parents ont traversé les océans pour se battre pour la France. Pour empêcher l'Allemagne de coloniser la France, beaucoup d'Antillais ont servi de chair à canons. L'écrivain antillais doit arriver à transmettre l'histoire à la jeunesse.

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