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"L'État s'est quasiment désengagé"
Interview avec Ahmed Ghazi, exploitant
entretien
rédigé par Fatoumata Sagnane
publié le 06/08/2007

L'objectif de chacun des membres d'Africiné, est de contribuer à épanouir, dans le vrai sens du mot, la valeur de la culture africaine. Ce qui nous impose des recherches sur le terrain, pour avoir connaissance des problèmes du cinéma de chaque pays africain, afin de les partager sur ce site.
C'est la raison de cette série d'entretiens avec des pratiquants et amoureux des plateaux de ma Guinée natale.

Africiné : Voulez-vous présenter à Africiné ?

Je m'appelle Ahmed Ghazi, j'ai 34 ans. Je gère les cinémas Rogbanè, Mimo et une société de distribution de films qui s'appelle Ghazi Films, depuis 2000 à mon retour en Guinée, après le décès de mon père dont j'ai hérité l'entreprise cinématographique.

Depuis combien de temps cette salle existe et comment était le rendement ?

Cette salle (Rogbanè) existe depuis 1981 et à l'époque le cinéma marchait fort. Et pas seulement le cinéma Rogbanè mais le cinéma guinéen en général, parce qu'il y avait une vraie volonté politique visant à le soutenir. Jadis dans chaque ville de Guinée (les grandes agglomérations et même dans les quartiers), il y avait des projections cinématographiques. Si ce n'étaient des salles à part entière, c'étaient des permanences dans lesquelles il y avait des appareils de projection. Mais encore une fois, c'était une volonté politique de la part de l'ancien régime, de soutenir le cinéma à la fois pour sa propagande, et pour occuper le peuple en projetant des films.

Alors comment se portent les deux salles dont vous êtes gérant ?

Pour le moment, Rogbanè est en rénovation depuis près d'un an et demi. Nous avons reçu une subvention de l'Union Européenne auprès d'un programme qui s'appelle Africas cinémas. Ils ne nous ont pas apportés de l'argent mais du matériel, dont le système Dolby (système de diffusion stéréophonique du son avec des baffles dans toute la salle, différent du son mono qui n'a qu'un baffle derrière l'écran que le Guinéen connaissait jusqu'à présent). Quant au cinéma Mimo, il fonctionne toujours mais sera bientôt aussi fermé pour rénovation.

Votre analyse sur la disparition des salles de cinéma ?

C'est que l'État s'est quasiment désengagé de toutes les activités culturelles, et il fallait combler le vide économique en remplaçant ces salles de cinéma par d'autres activités.
On n'a vu la création des vidéos clubs, des vidéos projections en toute illégalité avec les gens qui ne payent pas de droits, et l'État est resté statique, immobile face à ces montées en puissance de ces lieux de piratage. Alors petit à petit, le cinéma n'a plus trouvé une source de financement auprès du public. Et comme le cinéma n'était pas du tout aidé par le gouvernement, ni par aucun autre support, c'est-à-dire les bailleurs de fonds ou les bonnes volontés, les salles ont fermé petit à petit.
Le matériel cinématographique coûte excessivement cher. Il fallait donc trouver d'autres sources de financement, et c'était impossible pour ces gérants de salles qui se débrouillaient. Ensuite les films 35mm coûtent très chers aussi à l'achat. Au transport, l'inflation bat tambour, et impossible de transporter des films avec tout ce qui prévaut comme galère dans le pays qui, sous la pression du FMI, de la Banque Mondiale, a dû vendre toutes ses entreprises publiques (le cinéma en faisant parti). Donc la volonté politique à l'époque n'a pas tenu compte de l'exception culturelle ! Dans ce lot, il y avait les salles appartenant à l'ONACIG (le Matam, Le Rialto, le Palace) et les salles de l'intérieur du pays.
Le problème est qu'on n'a plus le droit d'exiger à ceux qui ont acheté ces salles quoi que ce soit ! Ils vont juste restituer quelque chose pour la reconstruction de ces salles parce que le cahier de charge l'exige. Par ailleurs ils en font ce qu'ils veulent : magasin de stockage, salle spectacles, etc.….
Nous distributeurs de films, ces six dernières années, nous avons importé pour quatre salles de cinéma. À ce jour, nous n'avons plus la capacité d'importer des films. C'est de l'ordre de 1000 à 1500 euros, alors que le billet d'entrée est à 1000 francs guinéens (ce qui ne représente même pas 1 euro). Donc il faut trouver l'argent pour pouvoir importer des films ou trouver d'autres solutions. Aujourd'hui on s'est assigné un objectif : c'est de ne diffuser exclusivement que les films africains et francophones, mais ce n'est pas facile parce que le film africain a déjà du mal à être produit. Difficile de lier culture et économie ! C'est marcher sur des œufs ! Pour le faire, il faut que la culture trouve son propre financement mais aussi une volonté politique de financement. Le cinéma africain a trouvé en général un système d'autofinancement en réduisant les coûts et en passant par le numérique qui peut être une réponse au vide du cinéma africain, parce que l'accès au 35 mm coûte trop cher. Par ailleurs, il faut que toutes les salles soient équipées de projecteurs numériques et que des maisons de distributions soient prêtent à recevoir des diffusions numériques, ce qui n'est pas chose facile. C'est là où se situe le problème du cinéma en Afrique et le cinéma en Guinée surtout.
Nous on veut s'équiper en numérique ce qui est excessivement cher. Et si on veut faire aussi du bricolage c'est possible entre 20.000 à 30.000 euros, mais pour les salles comme Mimo (800 places) il faut au moins 30.000 euros pour un équipement numérique ! Et je ne sais comment trouver ce financement là. Les productions locales qui sont en numérique auront accès aux salles de cinéma avec une qualité digne de ce nom, c'est-à-dire que le spectateur qui ira voir les films ne va pas se retrouver avec un espace de 2 m de long de large avec une projection bidon ; mais plutôt dans un certain confort le spectateur ira voir ces films parce que c'est sa culture plus que les films américains par exemple. Par ailleurs avec un financement, les matériels (fauteuils, climatiseurs, et groupes électrogènes) que nous avons peuvent nous permettre d'ouvrir des salles pour redéployer le cinéma.
Aujourd'hui c'est la volonté de la société Ghazi Films, ma famille ; mais sans volonté politique ce ne sera pas possible, c'est prêcher dans le vide sauf si on y travaille.

Ce qui est salutaire c'est que vous disiez une fois terminée la réfection de vos salles de projection, vous privilégierez la projection des films africains, pouvez-vous le confirmer ?

Complètement et cela depuis 2004 je le prêche.

Cela tombera dans les bonnes oreilles des membres (et internautes) d'Africiné, car notre objectif c'est de promouvoir le film africain en général. Mais avez-vous des promesses très proches en ce moment ?

Mais avec qui ? Où faut-il aller ? Pas l'ONACIG en tout cas qui est sous perfusion d'ailleurs depuis belle lurette ! Tout l'organe cinématographique en Guinée est sous perfusion. En 2001, on avait reçu une lettre de l'ONACIG proposant la création d'une société mixte avec des opérateurs privés et l'État. De tous les opérateurs privés contactés, nous avons été les seuls (Ghazi Films) à répondre positivement à l'appel. Nous on est prêt à travailler avec l'État pour redéployer le cinéma sur nos territoires, même si on n'a pas forcément beaucoup d'argent. On a du matériel, on a des films et l'État a des salles. Si on réunit nos atouts, nous pourrons redéployer le cinéma ensemble. Nous sommes en 2007 et les projets sont toujours dans les cartons. L'État a en plus vendu toutes les salles que gérait l'ONACIG mais qui appartenaient au peuple de Guinée tout entier.
Toute activité culturelle livrée à elle-même ne rapporte pas d'argent. Le cinéma vivote et vu que l'État ne lui vient pas en aide c'est normal qu'il soit délabré, fermé, pillé. Et c'est normal qu'après ça - puisque les salles de cinéma sont transformés en grandes surfaces rapportant plus d'argent - les gens, quand ils les possèdent, les mettent en location. On a vu ça dans tout le pays. Ces salles sont devenues aujourd'hui soit des Églises ou des entrepôts de stockage ; parce que c'est le foncier qui est important plus qu'une activité à vie et sous perfusion qui ne rapporte rien du tout.

Dans combien de temps Rogbanè doit reprendre ses activités pour le bien être du public guinéen en particulier et du cinéma africain en général ?

Bon, pour le moment nous manquons d'argent car c'est le moteur de tout. Nous avons du matériel : plus d'un millier de fauteuils qui sont venus sans chevilles et il faut les fixer au sol. Tout ça demande de grandes sommes. Pour installer un fauteuil, il faut quatre chevilles boulons. Une cheville coûte 4.500 FG ; donc ça fait 18.000fg par fauteuil. Puis il faut tout multiplier par mille ou huit cents, on arrive facilement de 16 à 18 millions ! Voilà normalement des problèmes qui ne devraient pas exister car le cinéma est une activité qui dure dans le temps, qui est là pour divertir les gens et illuminer leur vie. En un mot, pour finir cette salle, il me faut concrètement 50.000 000 de nos francs ! Je ne sais où prendre tout ça. En tout cas pas pour le moment, alors ça sert de bar américain : il y a de la jolie lumière et c'est vraiment Hip-hop. Donc pour le moment j'attends et dès que j'ai un bon financement je redémarre la chose.
Je vous le confie : malgré tout, le cinéma Robganè va reprendre au plus tard au mois de juin si on trouve le financement. Sinon c'est si Dieu le veut (Incha Allah).

De nos jours concrètement combien de salles de cinéma survivent ?

À part le Mimo, il y a le Matam, le Hamdallaye, le Mandingue et à l'intérieur du pays c'est seulement le cinéma Daka à Labé qui existe.
On essaie de maintenir ces salles qui survivent, dans l'espoir que dans les plus brefs délais tout sera relancé en matière de cinéma en Guinée par le concours du nouveau gouvernement de large consensus.

Fatoumata SAGNANE

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