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Ne plus être seulement séduisante
entretien d'Olivier Barlet avec Sonia Rolland
entretien
rédigé par Olivier Barlet
publié le 29/04/2004
Sonia Rolland
Sonia Rolland

Métisse franco-rwandaise, Sonia Rolland est arrivée en France à l'âge de 13 ans, fuyant les massacres au Rwanda puis au Burundi. Championne de basket, elle est remarquée par les sélectionneurs et devient Miss France en 2000. Elle est aujourd'hui Lea Parker dans une série du même nom de la chaîne M6 : une policière autoritaire et n'ayant pas froid aux yeux mais aussi ouverte et sensible. Engagée, elle s'occupe d'une association se donnant pour but de donner un toit à des orphelins au Rwanda (www.soniarolland.org). Rencontre avec une femme qui ne regrette rien mais aimerait ne plus être seulement objet de séduction.

Vous aviez marqué dans Les Pygmées de Carlo, de Raidu Mihaileanu, qui avait été tourné au Cameroun. Qu'est-ce qui vous a ensuite amenée à Lea Parker ?
Depuis Les Pygmées de Carlo, j'ai tourné Le P'tit curieux, de Jean Marboeuf, qui sort le 28 avril et durant ce tournage, j'ai été casté pour Lea Parker. Ils m'avaient découverte au festival de St Tropez lorsque je présentais Les Pygmées de Carlo. Le fait d'être comédienne et sportive correspondait au personnage recherché. Le producteur Jean-Benoît Gillig est un jeune de 32 ans plein d'idées qui a su s'imposer avec ce concept loin des séries françaises policières, qui joue un côté ludique très fort et éloigné du réalisme. Lea Parker est assez complexe car elle a une double vie : il faut qu'elle sache garder ses secrets vis-à-vis de sa sœur et ses amis.
Les Pygmées de Carlo ont ainsi été un déclic essentiel ?
Oui, le film m'a porté chance. Raidu m'a permis de m'y exprimer vraiment et il apparaissait clairement que le fait de jouer n'était pas un coup en l'air mais un travail sérieux que je veux faire toute ma vie. J'accepte aussi des films d'auteur qui n'ont pas forcément beaucoup de budget mais qui abordent le cinéma différemment.
Vous n'aviez pas encore tourné avant Les Pygmées de Carlo ?
Non, mais j'avais fait beaucoup de théâtre et de comédie. Mais comme j'avais été Miss France, on ne me prenait jamais au sérieux. Un jour j'en ai eu marre et l'ai dit, notamment à Alain Delon qui m'a conseillé un agent. Il ne m'a pas pistonné : ce n'est pas mon style. Cet agent m'a trouvé le film de Raidu trois semaines plus tard. Sur trois ans, j'ai ainsi fait un téléfilm, un long métrage et maintenant une série : ce sont trois expériences fortes, avec des budgets et des rythmes différents, qui obligent à s'adapter. Pour Lea Parker, c'est un travail rapide, toujours dans l'urgence et le manque de temps, mais on s'en sort bien.
Cela vous permet de sortir définitivement de l'étiquette Miss France.
Oui, sans dénigrer ce que j'ai été. Je suis très heureuse de l'avoir été : c'est un titre honorable, qui n'a rien de vulgaire. C'est ensuite la reconversion qui est importante.
Lea Parker est un rôle qui pose la question de l'origine avec la découverte d'une demi-sœur dès le premier épisode. C'est un rôle intéressant ?
Oui, très, à cause de la complexité de sa double vie et de ce métissage qu'on ne ressent pas, qui paraît très normale comme cela devrait être dans la vie. Il n'y a pas de barrière culturelle : c'est un message clair. Le racisme est absent.
C'est un rôle qui parle d'origine mais ne vous enferme pas dedans.
Oui, je n'y suis pas enfermé dans une catégorie ou une communauté, et j'ai d'autres soucis que ça. Par contre, dans Les Pygmées de Carlo, Désirée le revendiquait. Elle était écorchée vive, meurtrie déjà et rendue sensible par la vie. L'homme blanc en prenait plein la gueule avec elle. Je m'en sers aussi pour aborder Lea Parker qui un rôle complexe car elle incarne aussi des rôles puisqu'elle doit remplir des missions où elle se fait passer pour un personnage : une composition dans la composition. C'est très enrichissant pour moi qui n'ai pas beaucoup d'expérience. Je découvre des aspects de ma personnalité.
Ce sont des rôles qui restent dans la détermination féminine.
Toujours ! toujours dans l'affirmation. Lea Parker a toujours besoin de s'affirmer, aller plus loin que là où on l'attend. J'adore ce personnage. Si ce n'était pas le cas, je m'ennuierai et j'aurais abandonné depuis longtemps car tout n'est pas facile. Quelle chance de faire le métier qu'on aime !
Et de sortir des rôles dans lesquels on enferme les Noirs.
Absolument. Désirée était à la fois sexy et n'en montrant pas trop. Elle jouait un rôle bien, bien que prostituée : on la découvrait peu à peu. J'aimais beaucoup ce rôle. Dans le film de Jean Marboeuf, c'est une femme complètement espiègle, fantaisiste, qui paraît naïve mais ne l'est pas du tout, et qui est très amoureuse. On reste cependant encore beaucoup dans l'esthétisme. J'aimerais avoir des rôles qui fassent oublier que j'ai été Miss France.
Ne pas être limitée à la séduction ?
Oui, ce n'est pas si difficile que ça d'être séductrice. Je pensais que ce serait une difficulté pour moi car je ne suis pas comme ça dans la vie, mais au cinéma cela se rapproche de la caricature. J'aimerais bien aborder la douleur, les sentiments profonds, la violence.
Effectivement, la femme noire dans la publicité est essentiellement séductrice ; elle est là pour son corps.
Oui, le corps de la femme noire a toujours fait fantasmer, mais quand on nous donnera des choses plus nobles à jouer, ce sera un grand progrès.
Le colloque " Ecrans pâles " a souligné la question de la représentativité des minorités dites visibles à la télévision : le directeur de M6 vous citait en exemple.
Il a fallu attendre 2004 pour qu'on se pose la question ! Qu'on en arrive à prendre un exemple comme le mien est dommage : bien avant moi, il y avait de remarquables acteurs et actrices. Je pense à la magnifique Cathy Rosier qui avait joué dans Le Samouraï ou Firmine Richard. Eriq Ebouaney, Alex Descas sont aussi de grands exemples. Ce sont de vrais acteurs : on n'en parle jamais alors qu'on fait sans cesse la promotion des acteurs africains-américains qui ont des oscars.
Vous vous sentez être un alibi ?
Je ne sais pas : j'essaye de prendre du recul. Des millions de gens se reconnaissent dans Lea Parker et ne se posent pas ces questions.
Le public semble avoir moins de problèmes que les directeurs des programmes…
Absolument, le public s'en fout que l'héroïne soit blanche, noire ou asiatique. Il est loin de tout ça. Ce sont les productions que se font des idées. Au niveau des médias, c'est pareil : on ne fera pas facilement une couverture avec moi… C'est avec le temps que les choses avancent.
Vous avez une position sur la question des quotas ou de la discrimination positive ?
Les quotas peuvent servir et desservir. Cela permet aux minorités visibles d'apparaître mais c'est super dévalorisant. La vraie question est de savoir pourquoi on écrit encore des rôles de Noirs pour les Noirs. Mon ami métis Louis-Karim Nebati qui joue Fabien Cosma sur la 2 ne joue pas le rôle d'un Noir et personne ne s'en offusque.
Vous vous inscrivez donc dans une revendication citoyenne d'être Madame tout le monde.
Moi, je suis citoyenne du Monde. Chacun mérite d'avoir sa chance et sa place lorsqu'il le mérite. Mais il faut pouvoir ouvrir les portes et c'est ça qui n'est pas évident. Je pense que c'est la jeune génération qui fera ce changement. Ce qui me fait plaisir chez M6, c'est qu'on ressent le fait que c'est une chaîne cosmopolite. Elle laisse les gens s'exprimer. J'attends qu'il y ait de plus en plus de jeunes qui écrivent et réalisent, et trouvent des producteurs ouverts.
Vous vous sentez donc représentative de cette France multiculturelle sans complexes à laquelle on aspire.
Oui, c'est celle que je connais. Il faudrait que les programmateurs sortent un peu et voient ce que vivent les jeunes et comment ils communiquent. La télé est terriblement nostalgique et ne s'adresse qu'à un certain âge alors qu'il faudrait qu'elle soit un miroir du monde. Sa fonction est de divertir dans le bon sens, pas avec de la télé-réalité, d'informer sans manipuler et de voyager aussi. En faisant de la télé, on s'invite chez les gens : il faut le faire bien. La série Lea Parker n'est pas là pour asséner un message mais pour accompagner avec légèreté.
Avez-vous peur que ces rôles vous collent à la peau ?
J'espère que non ! C'est encore une fois la profession qui décide, mais je ne pense pas. J'ai pris beaucoup de recul vis-à-vis de Lea car je ne veux pas m'y enfermer. Mais les gens savent que je suis comédienne, qui est capable d'autres choses.
Avez-vous été approchée par des cinéastes africains ?
Oui, en Belgique et au Cameroun, mais je crois qu'il n'osent pas. Pourtant, je n'ai pas d'exclusion et ne tourne pas que de gros films. Je veux juste des scénarios intéressants. L'année prochaine je tournerai en Afrique pour les Canadiens.

Lea Parker passe le dimanche à 18 h 50 sur M6.

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