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Profondes perceptions du désert
entretien d'Eglantine Chabasseur avec Afel Bocoum
entretien
rédigé par Eglantine Chabasseur
publié le 01/04/2006

Plusieurs années après l'opus " Alkibar ", Afel Bocoum revient sur le devant de la scène avec " Niger ", un album où njurkel, njarka, calebasse et autres instruments traditionnels permettent à Afel Bocoum et à ses " Messagers du Fleuve " de restituer les vibrations de la région de Niafunké, au nord du Mali. Une façon de rendre hommage à Ali Farka Touré, son regretté oncle et ami, mais également de s'en démarquer.

Dans " Niger ", votre second album, on entend beaucoup de njurkel, de njarka et moins de guitare…
Oui, les instruments traditionnels sont la base de ma musique. C'est le rythme que je me suis choisi pour faire de la musique au clair de lune.
D'où viennent ces intruments exactement?
Les Maliens disent qu'ilsviennent du Mali, les Nigériens du Niger. Je n'ai jamais compris exactement d'où ils venaient. Au Mali, je sais seulement qu'on a commencé à jouer le njurkel et le njarka au moment des invasions. Les gens qui s'opposaient à la religion musulmane, à la pénétration coloniale et ainsi de suite jouaient de cet instrument...Chez les Peuls, le njurkel était surmonté d'un fil d'argent qui donnait envie à celui qui l'écoute de l'écouter sans arrêt. Lorsqu'il est surmonté d'un fil d'argent, c'est un instrument auquel on ne résiste pas. Et si on le joue la nuit, on a de fortes chances de rencontrer des mauvais esprits. Finalement, lorsqu'on le joue on se sent autre.
Nous, on l'a adapté avec un fil de nylon. Il n'a pas le même pouvoir que le fil d'argent qui est destiné au rite vaudou. N'ayant aucune maitrise de ces esprits là et puisque nous faisons de la simple musique nous nous sommes arrêtés au fil de nylon,.
Le violon monocorde, le njarka, était joué par les femmes pour garder les hommes à la maison. Une femme qui ne savait pas jouer du violon n'avait aucune chance de garder son mari à la maison longtemps. Je crois qu'avec la religion ou d'autres considérations les femmes se sont écartées de cet instrument et les hommes qui trouvaient que c'était un bon instrument se le sont accaparé.
La différence entre le blues songhai, le blues touarèg, et le blues tamasheq, -est elle due aux instruments ou aux rythmes ?
Elle est due aux instruments parce que ce sont eux qui imposent leur rythme. Le blues, c'est de la musique africaine tout court. On peut distinguer le blues tamasheq du blues touarèg, mais je fais avant tout de la musique malienne, de la musique africaine.
Je mets l'accent sur mon monocorde, mon violon, ma calebasse parce que la guitare ne m'appartient pas. Ce n'est pas un instrument que je maîtriserai mieux que ceux qui l'ont inventé, ceux qui ont passé des siècles à s'exercer dessus. . Je veux vivre à partir de ce que j'ai, c'est à dire les instruments traditionnels.
La guitare, c'est un instrument qui ne vous appartient pas?
Du tout ! En même temps, c'est l'unité de mesure de notre musique puisqu'on accorde les instruments traditionnels à partir de la guitare. Mais c'est un instrument que je connais moins que les autres. Je le joue en tant que simple joueur. Alors qu'avec le njurkel ou le njarka, je suis automatiquement inspiré. J'en comprends les sons en mon âme et conscience, au plus profond de moi-même. Je compose toujours à partir du monocorde ou du violon, cela approfondit mon inspiration et même si dans la cohésion musicale, j'ai besoin de la guitare, au niveau de la composition, tout part des instruments traditionnels.
Dans le premier titre de l'album, Ali Farka Touré, vous dites qu'il laisse inquiet. de quoi  êtes-vous inquiet?
Je suis inquiet car on me fait passer pour un héritier potentiel, mais Ali ne savait pas lui même pourquoi il faisait tout ça. Dieu a mis ça en lui, c'est une nature. Je voudrais bien faire ce qu'il faisait et même plus, mais je ne le ferai jamais. Ce que je peux avoir hérité de lui, c'est sa philosophie. Il m'a toujours dit qu'il fallait aimer son pays. S'il y a un problème dans le pays, le problème c'est toi car tu n'arrives pas à le résoudre. Nous avions en commun l'amour de notrepays, des animaux, de l'agriculture. Je crains d'être considéré comme son successeur. Avec Ali, j'étais compositeur et choriste, je ne jouais pas d'instrument. A la guitare je ne vois pas ce que j'aurai pu faire mieux que lui. Aucun de ses enfants, aucun Malien, à ce que je sache, ne pourra prendre sa succession. Ce n'est pas le travail, pas la musique, c'est autre chose. Personne n'aura sa façon de transposer à la guitare les instruments traditionnels. Tu peux jouer ses morceaux, mais tu n'auras pas son charisme. Je reste juste à côté de lui, mais je veux me soustraire de cette comparaison éventuelle qui m'effraie. Qu'on me laisse une marge à côté d'Ali sans esssayer de croire qu'un jour ou l'autre je serai un petit Ali. Je n'en ai pas les capacités. Me comparer à ce monsieur-là ? Je suis content de cette comparaison, mais si elle me nuit, ce n'est pas bon. J'ai peur de ne jamais faire ce qu'il fait. Est-ce que je resterai toujours sous son ombre ? Sous son ombre, je ne rime à rien. Il a trop de qualités en dehors de sa musique et c'est cela qui fait sa popularité.
Vous avez commencé très jeune à jouer avec Ali Farka Touré, comment a-t-il senti qu'il fallait vous mettre sur la voie de la musique ?
C'est moi qui ai forcé. Enfant déjà, j'aimais sa musique. Partout où il jouait, j'étais là. Il avait une JVC, une radio que quelqu'un lui avait payé, alors partout où il partait, on arrangeait le lieu car les gens venaient pour danser. Et quand il demandait du thé, j'étais toujours prêt à aller lui chercherde quoi en faire. Mon travail c'était de lui faire du feu. Pour qu'on accepte que je soisà ses côtés , il me fallait faire quelque chose… Jusqu'à 10, 12 ans, je l'accompagnais dans sesconcerts. On partait dans les coins les plus reculés…Mais si le concert n'avait pas commencé à 19 heures, je devais aller me coucher, je n'étais donc pas de la fête.
J'aimais beaucoup sa musique, et encore aujourd'hui je ne sais pas qui peut l'égaler à la guitare, si ce n'est pas mon soliste Mamadou Kelil. Farka a dit qu'il avait lui aussi le don de la guitare, il me l'a donc confié. Il y avait un autre guitariste, Boura Traoré, un villageois, qui n'a jamais été à l'école et que Farka a jugé bon. Moi, il n'a jamais dit que je réussirai à la guitare. Par contre au chant, oui.
J'ai fini par intégrer le groupe. Quand j'étais à l'école, j'allais à Bamako pendant les vacances pour lui rendre visite jusqu'en 1978, où j'ai été diplômé en agriculture. Ali était très découragé, il était sur le point de quitter la Radio Mali et Bamako pour venir vivre à Niafunké, et c'est seulement quand il a quitté la radio qu'on a commencé à voir ses capacités. Beaucoup n'avaient jamais entendu parler de lui avant. En Afrique c'est comme ca, il faut que tu sois parti, malade ou mort pour qu'on te reconnaisse…
Etes vous - reconnu au Mali aujourd'hui?
Je suis plus connu à l'étranger que chez moi….C'est grave ! Mais cette fois i, j'ai produit un clip. Au Mali, tant qu'on ne te voit pas à la télé, tu n'es pas connu. Si tu acceptes que ton image soit diffusée partout, alors les gens vont te connaître, mais derrière ça, tu n'auras pas un sou pour payer ton loyer. Cela se passe très fréquemment.
Il faut pourtant reconnaître tout simplement la valeur de l'autre. Auparavant je refusais le clip, j'ai finalement accepté, car cela me faisait mal de ne pas être connu chez moi, il me manquait quelque chose...

Album Niger, Contre-Jour/ Harmonia Mundi

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