Le 63° festival du film de Locarno s'ouvre ce mercredi 4 août et d'ici le 15 août, date de la clôture, cette vitrine suisse du cinéma mondial aura exposé plusieurs centaines d'oeuvres venues du monde entier.
On arrive ici par bateau depuis Stresa en Italie, après avoir fait escale aux superbes îles Borromées pour revoir le fameux jardin botanique et le château de la famille Borroméo fondatrice de la ville de Milan. Coulant des jours d'été tranquilles sur les rives du Lac Majeur, Locarno est soudain envahie par une peuplade agitée de cinéphiles, cinéastes, acteurs,producteurs venus s'éclater aux images du festival et déranger la vie paisible des quelques touristes, quasiment tous des Suisses allemands. La Suisse est si chère que seuls les Suisses peuvent aller en...Suisse !
La nuit venue, tout le monde se retrouve sur la Piazza Grande, devant son écran géant, où la fréquentation est supérieure à toutes les salles de la ville réunies.
Depuis quelques années déjà, le Festival de Locarno est passé à la vitesse supérieure et sa programmation, confiée cette année à son nouveau directeur artistique Olivier Père, ancien responsable de la quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes,est devenue exceptionnellement très variée et très internationale, plus du tout européocentriste. Dans la section Open Doors, il y a cette année toute une série de films venus du Kazakhstan et du Kurdistan. Pardo di Domani a sélectionné en concours le film de Yannis Koussim, Khouya, montré en mai dernier au Short Corner à Cannes.
À l'ouverture, c'est un film en costumes du XIX siècle du cinéaste français Benoit Jacquot.
L'équipe sympathique qui entoure Olivier Père et Marco Solari, président du Festival de Locarno, a décidé cette année de rendre un hommage très mérité à Alain Tanner, l'un des plus célèbres cinéastes suisses, fréquent visiteur de la Cinémathèque d'Alger au temps de sa splendeur.
De cet auteur exceptionnel, les écrans du festival ressortiront notamment Jonas, La Ville Blanche, Les Années Lumières, Paul s'en va...
Au fil du même programme, on retrouve le portrait de Zidane filmé par Douglas Gordon et Philippe Parreno : Zidane, portrait du 21° Siècle. De même que le chef d'œuvre Conte d'été, du grand cinéaste français Eric Rohmer disparu récemment. La Rétrospective consacrée à Ernest Lubitsch est un pari déjà gagné d'avance vu le talent inouï de ce cinéaste classique d'Hollywood qui raconte toujours ses histoires avec une drôlerie contagieuse.
Le spectateur curieux de sujets étonnants, décapants, un brin provocateurs, mais où l'on part souvent d'un fou-rire, se réjouit de la présence au programme de Locarno cette année d'une série de films de Luc Moullet. Le cinéma de Luc Moullet brille en effet et avant tout par son humour, assez féroce parfois mais sans méchanceté. Auteur inclassable, proche de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard et toute la clique), ancien critique aux Cahiers du Cinéma, Luc Moullet appartient aussi à la tribu des Buster Keaton, Jacques Tati... Godard l'a comparé à Courteline ou peut-être au Douanier Rousseau.
Voir Genèse d'un Repas (1978), enquête réjouissante et un peu effrayante à la fois, où l'on voit Luc Moullet assis à sa table (de repas) où sont posées une boite de thon, une banane, une tablette de chocolat, du café... Et les images d'après racontent avec humour les origines réelles de ces produits et comment le consommateur est grugé,comment toutes les étiquettes sont de véritables tricheries : par exemple le thon qui vient du Sénégal est vendu en France sous l'étiquette "produit de Bretagne", etc...
Dans Le Prestige de la Mort (2007), Luc Moullet filme son propre enterrement et se moque de l'industrie des pompes funèbres. Essai d'ouverture (1988) nous montre le même Moullet essayant en vain d'ouvrir une bouteille de Coca cola, l'absurdité même des produits qu'on achète chaque jour.
Dans Les sièges de l'Alcazar (1989) où, autour d'une salle de cinéma parisien, Luc Moullet joue son rôle de critique des Cahiers du Cinéma aux prises avec une collègue qui écrit dans la revue ennemie, très hostile, Positif. On ne perd pas un mot de cette réjouissante guerre des critiques !
La Terre de la Folie, présenté l'an dernier à Cannes, c'est le retour de Luc Moullet dans sa région natale, les Alpes de Haute Provence, où il montre que l'isolement des villages, l'air ambiant, les paysages des montagnes (c'est la région de Digne), tout cela a produit et maintenu une sorte d'héritage de la folie. Il y a dans ces régions plus de crimes commis que dans le reste de la France. Tout cela est dit avec un humour vache. Grand amateur de vélo (le vélo, pour lui, c'est la culture, la voiture, c'est la barbarie), Luc Moullet pédale à travers ces routes de montagnes et nous fait croire qu'il n'y a de vrai comique que dans les sujets sérieux !
Ernest Lubitsch plus Luc Moullet, le Festival de Locarno est parti cette année pour un grand éclat de rire sous les étoiles de la Piazza Grande.
Azzedine Mabrouki