AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 231 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Manosque 2007 : les pièges de la bonne intention
reportage
rédigé par Olivier Barlet
publié le 05/02/2007
Allez, Yallah !
Allez, Yallah !
Daratt (Saison sèche)
Daratt (Saison sèche)
Lettre du Sahara
Lettre du Sahara
Si le vent soulève les sables
Si le vent soulève les sables

Un regard très partiel une fois de plus sur les Rencontres cinématographiques de Manosque qui fêtaient cette année leur 20ème édition du 30 janvier au 4 février et où je n'ai pu passer que peu de temps. Mais d'emblée, la confirmation de la qualité de cette manifestation qui mise sur la découverte de films et de réalisateurs qui sont toujours invités à venir rencontrer le public dans cette ambiance très conviviale que permettent les petits festivals. Sauf que cette année, côté vision de l'Afrique, ce n'était pas tout simple.
Nous nous cantonnerons comme d'habitude à cette part africaine de la manifestation, non sans mentionner l'ouverture avec en avant-première le dernier film de Manoel de Oliveira, Belle toujours, présenté par Jean-Michel Frodon, directeur de la rédaction des Cahiers du cinéma, et la rétrospective des films du trop méconnu Iranien Parviz Kimiavi dont la thématique récurrente est la confrontation à la différence. Le Belge Pierre-Yves Vanderweerd avait dû retirer Le Cercle des noyés (sur la répression du mouvement noir en Mauritanie, cf. notre critique) en raison de sa sélection à la Berlinale : les grands festivals appliquent une règle de fer en exigeant l'exclusivité, au détriment des petits festivals qui pourtant ne leur font pas grand ombrage. Belle manifestation de solidarité, Vanderweerd a tenu à être présent, même sans pouvoir présenter son film. Nous ne reviendrons pas sur Allez Yallah ! de Jean-Pierre Thorn et Daratt de Mahamat-Saleh Haroun dont nous avions fait l'éloge en leur temps (cf. critiques), et nous concentrerons plutôt sur les deux films de réalisateurs occidentaux traitant l'un de l'immigration et l'autre de la survie en Afrique.
Mais auparavant, une petite halte sur Palestine blues du jeune Palestinien vivant aux Etats-Unis Nida Sinnokrot qui a ramassé tout plein de prix dans les festivals. Cela a déjà été amplement documenté mais il n'est jamais inutile de montrer combien l'arbitraire du tracé du "mur de sécurité" déstructure les villages frontaliers et entretient la révolte. Les résistances non-violentes et bien amères des villageois palestiniens semblent dérisoires mais constituent des poches de résistance symboliques qui finissent par contribuer à des condamnations internationales. Cela se traduit par un quotidien dramatique de répression sur le terrain, marqué par les blessures ou la mort de jeunes lanceurs de pierres ou de pacifistes venus en renfort. En caméra épaule et en osmose avec les villageois, Palestine blues rend remarquablement compte de cette confrontation physique et en fait partager les montées d'adrénaline. Par contre, sa caméra cachée est parfaitement incongrue lorsqu'il s'agit d'approcher les soldats israéliens. Même si leur ridicule est réel, le montrer à l'écran dessert le propos : on ne se grandit pas en diminuant son ennemi, on le dénature en ne montrant que sa petitesse ou sa faiblesse, on ne démontre rien pour soi en volant son image. Le déséquilibre entre une caméra ouverte chez les Palestiniens qui adoptent donc l'attitude et la parole de personnes filmées et une caméra cachée face aux Israéliens, même si celle-ci est un stratagème face à leur interdiction, crée une partialité inacceptable qui torpille un témoignage par ailleurs implacable.
Cette petite halte n'était peut-être pas inutile pour introduire l'atterrant Si le vent soulève les sables de la Belge Marion Hänsel, adapté du roman Chamelle de Marc Durin-Valois et coproduit par la RTBF et Arte, tant ce film pose lui aussi des problèmes d'éthique. Pas de caméra cachée ici : nous sommes dans la fiction. Et pourtant, son regard manque à ce point de retenue que nous n'en sommes pas loin. Comment peut-on oser faire d'une enfant envoyée sur les mines anti-personnels une séquence de suspens ? On est en plein travelling de Kapo. Et pourquoi s'acharner à faire des tragédies de l'Afrique un thriller manichéen et fourre-tout ? On sent se profiler Hôtel Rwanda ou Shooting Dogs qui le faisaient sur le dos du génocide rwandais. Ici, c'est le drame de paysans chassés de leur village par le manque d'eau et plongés dans la cruauté des guerres civiles. Enfants-soldats, arbitraire militaire, sécheresse extrême, tout y passe, mais attention : la laideur ne sera que celle de la violence, pas des paysages. Marion Hänsel indiquait durant le débat avoir fait des repérages au Maroc mais n'avoir finalement trouvé qu'à Djibouti la beauté des lieux et des hommes qui lui convenaient, tout en regrettant que ce soit plus cher. Cela me fait penser au scénariste-producteur français de La Caméra de bois qui pensait tourner dans une favelas de Rio avant de découvrir que l'Afrique du Sud serait tout aussi bien adaptée à son récit. On se cherche un décor pour sa fiction à soi, et puisqu'il faut que le drame soit beau, l'Afrique est élue comme lieu du tournage ! Ce mépris pavé de bonnes intentions ancre sempiternellement cette image univoque d'une Afrique des douleurs que trimbalent les actualités télévisées. Le film avait été montré aux scolaires et l'on s'extasiait sur le fait qu'ils aient "totalement accroché" et sur la pertinence de leurs questions. Pitié, arrêtez de montrer ces films à nos enfants ! La finesse de leurs réactions ne démontre en rien la qualité d'une oeuvre à ranger dans la longue série des Imuhar, une légende, Massaï, les guerriers de la pluie ou autre La Piste, sauf que là c'est encore plus grave car ces films tentaient au moins de rendre compte d'une culture précise. Mais bien sûr, avec la puissance de la distribution Bac Films, il va faire le tour des écoles et séances pour enfants. Parents, à vous de réagir !
Vous sentez ma colère - tant ce film va à l'encontre de la déconstruction des représentations pour laquelle nous nous battons à longueur d'année - et pouvez la retrouver développée si ça vous dit dans ma critique du film en article lié. Je suis conscient d'aller à l'encontre de beaucoup d'éloges envers un film qui commence à tourner dans de nombreux festivals avant de sortir sur les écrans, mais n'est-ce pas la fonction critique que d'écrire ce qu'on pense sincèrement ? Le débat est ouvert : à vous la parole dans les commentaires en fin d'articles.
En littérature comme au cinéma, cette fiction de l'Afrique prend deux formes :
- Soit on fait de l'universel sur son dos, parce qu'elle est un beau décor et qu'il n'y a pas besoin d'expliquer pourquoi on y souffre puisque c'est considéré comme une évidence. Alors on situe en Afrique une histoire qui pourrait se dérouler n'importe où : chez Marion Hänsel, un drame écologique doublé d'une histoire de père qui apprend à reconnaître sa fille.
- Soit on se documente et on construit une fiction pour faire prendre conscience d'une problématique locale, toujours dramatique. Démarche volontariste, ce second cas de figure dérive le plus souvent vers la pédagogie et la superficialité. C'est un message qui est mis en scène plutôt que des êtres en crise.
Lettre du Sahara, de l'Italien Vittorio de Seta, navigue sur la crête entre cette volonté vampirique et la subtilité d'une approche documentaire soucieuse de faire évoluer les mentalités. Son film suit le parcours tragique d'Assane, un immigré clandestin sénégalais en Italie (cf. critique).Le film est éminemment respectable mais la bonne intention phagocyte un projet qui aurait pu être magnifique si De Seta était allé au bout de son désir de s'effacer devant les acteurs du film. Sa volonté d'en faire un manifeste édulcore sa force émotionnelle et son pouvoir d'évocation.
Ainsi donc, cette vieille histoire du regard de l'Autre continue à rester problématique. La bonne intention ne suffit pas : la justesse du regard ne peut être que dans l'écoute absolue et l'adoption du rythme de l'Autre tout en se prenant soi-même comme sujet dans sa relation à lui, ce que réussissait très bien Lili et le baobab par exemple. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut espérer voir l'avènement d'un monde où les différences pourraient se vivre dans des égalités.

Olivier Barlet

Films liés
événements liés