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20ème Festival de Milan (15-21 mars 2010)
Majeur et désormais émancipé
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 15/03/2010

2008, la majorité

Le festival Cinema Africa d'Asia e America Latin a fêté en 2008 ses 18 ans, avec le sentiment d'être pleinement devenu majeur.
La reconnaissance internationale ne trompe pas. Au plan local aussi : un public nombreux se presse dans les 6 salles qui accueillent l'événement dans le centre ville de Milan. Le festival s'adosse sur le COE (Centro Orientamento Educativo), association de volontaires laïques chrétiens engagés en Italie ainsi que dans d'autres pays du monde pour le développement d'une culture du dialogue et de la solidarité. Le COE distribue des films et édite des DVD.
La majorité venant, outre son secrétariat sis au siège du COE à Milan, le festival a souhaité disposer d'un espace convivial. Il a ainsi inauguré en 2008 son Festival Center qui permet les rencontres formelles et informelles dans le Casa del pane.

Comme tous les grands festivals qui se respectent, Milan offre une conférence de presse. Cela se passe à 10h, avec les réalisateurs et acteurs des films projetés la veille.
Ainsi celle qui a réuni Alex OGOU (France, acteur principal du long métrage Il va pleuvoir sur Conakry réalisé par Cheick Fantamady CAMARA, Guinée), Lee Isaac CHUNG (USA, réalisateur de Munyurangabo) Mohamed ACHAOUR (Maroc, réalisateur de Percussion Kid, 16 min), Fernando Vicentini Organi (Italie, réalisateur-producteur de Zulu Meets Jazz) et Samy Elhaj (Tunisie, réalisateur de Fooska, 26 min). Cela permet évidemment d'aller plus loin dans les films et d'évoquer les aspects de production.

Sur les 5 films, 4 ont été tournés en vidéo numérique (Fooska a été kinescopé) : seul Munyurangabo a été filmé en 35 mm). Les maigres budgets ont conduit à ce choix, car "avec la vidéo, on perd la discipline, la sacralité du rituel (changement de bobines), la préciosité de la bobine de pellicule" selon Mohamed Achaour qui avance néanmoins avoir apprécié la légèreté apportée par sa Panasonic (HDVX 100 progressif). Achaour disposait de 20.000 euros et n'en a utilisé que 19.000. [note 1]
Alex Ogou, acteur principal (Bangali Bayo, BB) d'Il va pleuvoir sur Conakry, lui-même directeur de la photo (et réalisateur) de documentaires et vidéoclips, analyse que le choix de la vidéo laisse plus de latitude pour tourner et au besoin retourner des scènes.

2009, année Sembène

En réalité, Sembène Ousmane avait été honoré à Milan en 2008 déjà.
Le festival avait organisé une conférence conjointe avec moi pour une approche historique et sociologique, la flamboyante Thérèse Mbissine Diop (interprète immortelle de Diouna dans La Noire de..., en 1966) ainsi que celui qui connaît le mieux l'œuvre du Doyen des cinémas africains, Clarence Delgado.
Le réalisateur de Borom Sarret (1962) avait choisi de signer de son nom de famille suivi de son prénom (ce qui amène pas mal de confusion chez nombre d'auteurs pensant qu'il se prénomme Sembène) pour traduire la violence de la situation coloniale (pour parler comme Georges Balandier). Il n'a jamais pu se remettre à l'endroit puisqu'il décède le 09 juin 2007. Cette conférence visait à rappeler sa place importante.
C'est donc tout naturellement que le festival de Milan s'est joint au projet de la revue Africultures de publier une monographie avec les plus grands spécialistes mondiaux. L'édition italienne parue chez Il Castoro (Milan) est légèrement différente de la version française du numéro spécial 76 d'Africultures. Elle comporte notamment une interview de Tahar Cheriaa, fondateur des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC, Tunis), complice de Sembène ainsi que des critiques sélectionnées par Alice Arecco, Alessandra Specile et Annamaria Gallone.
La FNAC de Milan a accueilli la présentation officielle du livre, en présence du grand écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, membre du jury et des coordonnateurs du livre Sembène Ousmane.
Cette édition a vu la participation des cinéastes Mohammed Soudani (Algérie), Khaled Ghorbal (Algérie), Rashid Masharawi (Palestine), Natalie Haziza (Afrique du Sud, Israël).

20 ans et toutes ses dents

La vingtième édition montre toute la vitalité d'un festival qui en veut, avec une équipe dynamique et conviviale qui aime le cinéma.
Une session spéciale célèbre ces vingt ans avec 6 films comme les différentes parties qui composent l'Afrique (Ouest, Est, Centre, Nord, Sud et Diaspora), même si, pour une fois, ce n'est pas l'Afrique Occidentale qui est en surnombre.
En effet, l'Afrique Centrale affiche deux films : Sango Malo (Cameroun, 1991) d'Émile Bassek Ba Kobhio et Pièces d'identité (Congo Démocratique/Belgique, 1998) de Mweze Dieudonné Ngangura. Bassek Ba Kobhio adapte ici son roman éponyme où un jeune maître d'école a des idées jugées subversives par sa hiérarchie, tandis que Mweze Ngangura suit les déboires du roi Mani Kongo en Belgique.
Les Silences du Palais (Tunisie, 1994) représente magnifiquement l'Afrique du Nord, tant le film de Moufida Tatli est poignant et d'une sublime beauté (l'envoûtante musique d'Anouar Brahem lui fait atteindre des sommets). Monteuse réputée, la réalisatrice tunisienne signe ici un film sans fioritures qui mérite d'être classé au rang des plus grands films de la cinématographie mondiale.
Alors que le Burkina, l'Afrique, sinon le monde, venait de perdre (en 1987) un de ses dirigeants qui aura le plus porté aux cimes le respect de la fonction présidentielle (servir le peuple et non se servir de la patrie), sans l'air d'y toucher, Idrissa Ouédraogo livrait Tilaï (Burkina Faso, 1990). La trahison familiale, la fidélité des sentiments, sert de trames à cette histoire lumineuse joliment mise en boîte.
À son retour de voyage, Saga trouve son père installé dans le lit de la jeune femme qui lui était promise. Cependant le père félon n'a pas réussi à prendre le cœur de Nogma qui est toujours amoureuse de son merveilleux chasseur. Il érige son fils aîné en rival et son fils cadet en assassin, avec la complicité du village.
Alors que Teza (Ethiopie, 2008) - qui a valu à Haile Gerima une flopée de prix - s'apprête enfin à sortir en salles en France, le festival de Milan sélectionne ici Sankofa (1993, Ethiopie/USA). Le génial réalisateur y triture son thème favori : l'histoire.
Établi depuis 1972 aux États-unis, Haile Gerima a fini par être rangé parmi les cinéastes Africains Américains. À l'opposé, Raoul Peck - qui a vécu jeune au Zaïre (actuel Congo RDC) et ayant fait deux films sur Lumumba - a fini par être confondu avec les cinéastes africains. L'homme sur les quais (Haïti, 1993), qui représente ici la sixième partie du continent africain, rappelle que ce qui meut Raoul Peck c'est de démonter la mécanique des pouvoirs (politiques ou judiciaires) et leurs possibles dérives quand nul contrepouvoir ne peut s'exprimer.

La grande affaire 2010 en Afrique

L'évènement, c'est la coupe du monde qui se déroulera ce mois de juin 2010 en Afrique du Sud. Au royaume du célèbre Milan AC, club mythique de football, le cinéma ne pouvait être en reste avec la section thématique "Africa nel Pallone". Avec comme figure de proue, Le Ballon d'or (Cheick Doukouré, Guinée/France, 1992). Ce film qui a enregistré des centaines de milliers de spectateurs en France dresse le portrait du footballeur Salif Keita, une des anciennes gloires du club de Saint-Étienne, à travers le parcours du petit Bandian.
Parmi les films attendus citons juste Fahrenheit 2010 (Craig Tanner, Australie, Afrique du Sud, 2009), Entre la coupe et l'élection (documentaire de Monique Phoba et Guy Kabeya autour de la sélection du Congo à la Coupe du Monde en 1974), Il mercato della coppa d'Africa (Corrado Zunino, Italie, 2008) et More Than Just a Game (Junaid Ahmed, Afrique du Sud, 2007). Ce dernier est un récit sur l'équipe de football des prisonniers politiques à Robben Island (où fut emprisonné Mandela). Anthony Syze qui apparaît dans le film (avec quatre autres militants) sera présent à Milan pour des rencontres avec le public le jeudi 18 mars au Spazio Oberdan et deux fois le vendredi 19 à la librairie la Feltrinelli (Piazza Piemonte 2) dont une séance scolaire.

Oublie l'Afrique

Le Festival de Rotterdam (IFFR, Hollande) a marqué un grand tournant avec un programme original Where is Africa dans lequel s'insère une autre programmation : Forget Africa. L'initiatrice, Inge de Leeuw (IFFR, Pays Bas), viendra présenter l'initiative. Nous reviendrons sur Where is Africa.
Forget Africa emmène des réalisateurs de différentes nationalités (États-unis, Philippines, Malaisie, Singapour, Pays-Bas, Indonésie, Autriche, Chine, Allemagne et Thaïlande) en Afrique Noire (Congo, Cameroun, Tanzanie, Ouganda, Kenya, Malawi, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Zambie).
Les films sont de longueurs différentes (court, moyen et long métrage) variant en 15 et 71 minutes.

Ouvert sur le monde
Si l'Afrique occupe une place de choix, l'Amérique Latine et l'Asie ne sont pas en reste.
Dans la Compétition "Lungometraggi Finestre sul Mundo" ("Longs Métrages Fenêtre sur le Monde"), Mansour Sora Wade (Les feux de Mansaré, Sénégal), Raja Amari (Dowaha, Tunisie), Nassim Amaouche (Adieu Gary, Algérie/France) se la disputent à Buddhadeb Dasgupta (Janala, Inde), Gabriela David (La mosca en la ceniza, Argentine) et Rigoberto Perezcano (Norteado, Mexique/Espagne), Mostofa Sarwar Farroki (Third Person Singular Number, Bangladesh) et Ounie Lecomte (Une vie toute neuve, Corée du Sud/France).
Tout cela sous l'arbitrage de Raoul Peck qui concourt avec Moloch Tropical (Haïti/France), très attendu. Outre Sometimes in April (2005), son dernier film Lumumba (2000) reste dans les annales.
Ces trois longs métrages africains (Les feux de Mansaré, Dowaha, Adieu Gary) participent aussi à la compétition du Meilleur Film Africain (Miglior Film Africano).
Les documentaires et courts métrages jouent aussi leur partition dans leurs sections dédiées. Mati Diop, fille du grand compositeur et directeur artistique Wasis Diop (donc nièce du cinéaste feu Djibril Diop Mambéty), nous arrive avec son court métrage Atlantiques. Primée au 10ème édition SONGES D'UNE NUIT DV, elle aura néanmoins fort à faire face à Foued Mansour dont La raison de l'autre est d'une très haute maîtrise technique coulée dans une histoire touchante sur la dignité. Sans oublier Un transport en commun (Saint-Louis Blues) de sa compatriote Dyana Gaye dont Azzedine Mabrouki a dit ici sur Africiné tout le bien qu'il en pense.
Tous les résultats seront connus samedi.

Le film d'ouverture de ce soir n'est ni d'Afrique, ni d'Asie ni d'Amérique Latine, pourtant il trouve toute sa place dans ce festival. Nominé aux Oscars, outre un palmarès kilométrique, Precious est étasunien. Réalisé par Lee Daniels, un Afro-Descendant, le rôle principal est tenu par Gabourey Sidibé, actrice métisse : sa mère est Africaine-Américaine et son père Sénégalais.

Thierno I. Dia

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